e. Me
voila bien content, habitue a souffrir, resolu a ne plus me soigner,
enchante d'avoir echappe a la confession, et tranquille pour le peu de
temps qui me reste a vivre, puisque l'acte d'accusation des patriotes du
6 juin n'a pas fait mention de ma laide figure. Ah! dame! je ne suis
pas embelli, ma pauvre Marthe, et vous ne devez plus craindre de tomber
amoureuse de ce Jean que vous avez connu si beau, avec un teint si uni,
une barbe si epaisse, et de si grands yeux noirs!"
Jean plaisanta ainsi toute la soiree, et Arsene, qui l'avait deja
embrasse (mais a qui on avait cache l'algarade d'Horace), etant rentre,
nous soupames tous ensemble, et la gaiete heroique du _revenant_ ne se
dementit pas. En le voyant si heureux et si enjoue, Marthe ne pouvait se
persuader qu'il fut incurable. Moi-meme, en observant ce qui restait de
force et d'animation a ce corps extenue, je ne voulais point renoncer
a l'esperance; mais, craignant de me faire illusion, je le soumis a un
long et minutieux examen. Quelle fut ma joie lorsque je trouvai intacts
les organes que Laraviniere avait crus attaques, et lorsque je me
convainquis de la possibilite d'appliquer un traitement efficace! Ce fut
pendant plusieurs mois mon occupation la plus constante; et, grace a
la bonne constitution et a l'admirable patience de mon malade, nous le
vimes reprendre a la vie, et retrouver la sante rapidement. Les tendres
soins de Marthe et d'Arsene y contribuerent aussi. Il s'associa
desormais a ce jeune menage, dont il vit avec joie l'heureuse et noble
union. "Vois-tu, me disait-il un jour, je me suis autrefois imagine que
j'etais amoureux de cette femme, lorsque je la voyais malheureuse avec
Horace: c'etait une illusion de l'amitie ardente que je lui porte.
Depuis qu'elle est relevee, purifiee et recompensee par un autre,
je sens, a la joie de mon ame, que je l'aime comme ma soeur et pas
autrement."
Je ne vous dirai point le reste de l'histoire de Laraviniere: la suite
de sa vie fournirait trop de choses, et amenerait des reflexions qu'il
faudrait developper a part et lentement. Tout ce que je puis vous en
apprendre, c'est que, persistant dans son incorrigible et sauvage
heroisme, il a peri, et cette fois, helas! tout de bon, dans la rue, et
le fusil a la main, a cote de Barbes, heureux d'echapper au moins aux
tortures du mont Saint-Michel!
Quant a Horace, quelques jours apres son brusque depart, je recus de lui
une lettre datee d'Issoudun, ou il m'avouai
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