, avait
repondu le marquis. Ce jeune homme m'a plu, et a vous encore d'avantage.
Il a les qualites du talent et les travers de l'_homme de rien_. Il vous
aime, et il va bientot vous hair, parce que vous ne pouvez ni le
hair, ni l'aimer comme il l'entend. Sa haine ou son amour vous seront
egalement funestes. Il n'y a qu'un moyen de vous en preserver: c'est de
travailler a le rendre indifferent. Pour cela, il faut bien vous garder
de lui temoigner de l'indifference. Ce serait ranimer ses desirs,
eveiller son depit, et le pousser aux dernieres extremites. Soyez
passionnee au contraire; rencherissez sur ses jalousies, sur ses
injustices, sur ses menaces. Effrayez-le, fatiguez-le d'emotions. Tachez
de l'ennuyer a force d'exigences. Faites l'amante espagnole a votre
tour, et rendez-le si malheureux, qu'il desire vous quitter. Tachez
qu'il fasse le premier pas vers une rupture, et qu'il le fasse
violemment; alors vous serez sauvee: il aura eu les premiers torts.
Votre empressement a en profiter pour l'abandonner sera de la fierte
legitime, la dignite d'un grand caractere, la colere implacable d'un
grand amour! Je vous reponds du reste. Je m'emparerai de lui quand
l'occasion sera venue; j'ecouterai ses plaintes, je lui prouverai qu'il
est le seul coupable, et, tout en vous haissant, il sera force de vous
respecter. Il vous importunera peut-etre, il fera des folies pour
arriver jusqu'a vous. Soyez sans pitie. Peut-etre se brulera-t-il
la cervelle, mais seulement un peu; il a trop d'esprit pour vouloir
renoncer aux beaux romans dont son avenir est gros. Toutes les
extravagances qu'il pourra faire alors pour vous, loin de vous
compromettre, tourneront au triomphe de votre fierte. Tout le monde
saura peut-etre que ce jeune homme vous adore; mais on saura aussi que
vous le reduisez au desespoir; et s'il lui arrive de se vanter du passe
dans sa colere, on le regardera comme un fat ou comme un fou. De tout
ceci, ma belle amie, il resultera pour vous un surcroit de gloire. Votre
puissance sera plus enviee que jamais par les femmes, et les hommes
viendront se prosterner par centaines a vos genoux."
La vicomtesse suivit fidelement le conseil de son mentor. Elle joua si
bien la passion, qu'Horace eu fut epouvante. Des qu'elle le vit reculer,
elle avanca, et ne craignit pas d'exiger de lui qu'il l'enlevat. Cette
idee sourit d'abord a Horace, a cause du retentissement qu'aurait une
pareille aventure, et de l'honneur que lui ferait, dans la
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