province et
meme dans le monde, la passion _echevelee_ d'une dame de ce rang et de
cet esprit. La vicomtesse fremit en le voyant irresolu; mais, au bout
de vingt quatre heures, Horace s'effraya de l'idee de vivre avec une
maitresse aussi jalouse et aussi imperieuse. Il songea a la souffrance
qu'il eprouverait lorsque les curieux, se precipitant sur ses pas pour
le voir passer avec sa conquete, l'un dirait: "Tiens! elle n'est pas
plus belle que cela?" l'autre: "Elle n'est, pardieu, pas jeune!" Et,
tout bien considere, il refusa le sacrifice qu'elle lui offrait, sous
pretexte qu'il etait pauvre, et qu'il ne pouvait se resoudre a faire
partager sa misere a une femme comme elle, bercee dans l'opulence. Ce
pretexte etait d'ailleurs assez bien fonde. La vicomtesse feignit de
n'en tenir compte, de dedaigner les richesses, de vouloir braver le
monde, qu'elle pretendait hair et mepriser. Mais des qu'elle se fut
bien assuree de la repugnance sincere d'Horace a prendre ce parti, elle
l'accusa de ne point l'aimer; elle feignit d'etre jalouse d'Eugenie;
elle inventa je ne sais quels sujets absurdes de soupcon et de
ressentiment. Elle pleura meme, et s'arracha quelques faux cheveux.
Puis tout a coup elle chassa Horace de son boudoir, fit ses apprets de
depart, refusa de recevoir ses excuses et ses adieux, et s'en retourna a
Paris, bien fatiguee du drame qu'elle venait de jouer, bien satisfaite
d'etre enfin delivree du sujet de ses terreurs. De ce moment, ainsi que
l'avait predit le marquis, sa victoire fut assuree; et Horace, tout en
la plaignant de sa pretendue douleur, tout en se rejouissant de n'avoir
plus a en subir les violences, se sentit le plus faible, parce qu'il se
crut le plus froid.
Les jeunes gens nobles du pays qui avaient compose la cour ordinaire de
Leonie resterent dans leurs chateaux pour s'y adonner au plaisir de la
chasse durant l'automne; et l'un d'eux, qui avait pris Horace en amitie,
et qui le tenait serieusement pour un grand homme, l'invita a venir
achever la saison dans ses terres. Horace accepta cette offre avec
plaisir. Son hote etait riche et garcon. Il avait peu d'esprit, aucune
instruction, un bon coeur et de bonnes manieres. C'etait l'homme
qu'Horace pouvait eblouir de son erudition et charmer par le brillant de
son esprit, en meme temps qu'il trouvait a profiter dans son commerce
pour se former aux habitudes aristocratiques, dont il etait alors plus
que jamais infatue.
Son premier besoin fut d'ou
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