voir et
de l'applaudir! J'ai beaucoup rougi de moi, je vous l'avoue: et des que
la piece ou elle jouait a ete finie, j'ai couru a la porte des acteurs,
j'ai force toutes les consignes, j'ai mis en fureur tous les portiers et
tous les gardiens de cet etrange sanctuaire; j'ai cherche, j'ai trouve
sa loge, j'ai pousse la porte apres avoir frappe, et, sans attendre
qu'on vint, selon l'usage, parlementer avec moi, j'ai ose penetrer
jusqu'a elle. Elle etait encore dans son elegant costume, mais elle
avait essuye son fard; ses cheveux, dont elle avait ote les fleurs,
tombaient plus longs, plus noirs, et plus beaux que jamais sur ses
epaules de reine. Elle etait encore plus belle que sur la scene, et je
me suis jete a ses pieds; j'ai presse ses genoux contre ma poitrine, au
grand scandale de sa soubrette, qui m'a paru une villageoise bien naive
pour une habilleuse de theatre. Je savais que je ne trouverais pas
Arsene aupres d'elle; je me souvenais bien qu'il est caissier, qu'il est
occupe a la regie pendant que sa femme fait sa toilette. Mes amis, vous
me direz tout, ce que vous voudrez: elle est mariee, elle cherit son
mari, elle le respecte, elle l'estime; tout cela est bel et bon: mais
elle m'aime! oui, Marthe m'aime encore, elle m'aime toujours, et, bien
qu'elle m'ait dit tout le contraire, je n'en puis pas douter. Elle est
devenue, en me voyant, pale comme la mort; elle a chancele; elle serait
tombee evanouie si je ne l'eusse retenue dans mes bras et assise sur sa
causeuse. Elle a ete cinq minutes sans pouvoir me dire un mot, et comme
egaree; et enfin, lorsqu'elle m'a parle pour me vanter son bonheur, son
repos, son mariage... ses yeux humides et son sein haletant me disaient
tout autre chose; et moi, n'entendant que vaguement avec mes oreilles
les paroles de sa bouche, je comprenais avec tout mon etre la voix de
son coeur, qui parlait bien plus haut et plus eloquemment. Elle voulait
que j'attendisse dans sa loge l'arrivee d'Arsene; je crois qu'elle
craignait ses soupcons, si elle eut semble me recevoir comme en cachette
de lui. Mais M. Arsene m'a bien assez inquiete et tourmente pendant un
an, pour que je ne me fasse pas grand scrupule de lui rendre la pareille
pendant une soiree. D'ailleurs, je ne me sentais pas du tout dispose a
voir cet etre vulgaire et prosaique tutoyer, embrasser et emmener celle
que je ne puis me deshabituer tout d'un coup de regarder comme ma
maitresse et ma compagne. Je me suis esquive en lui promet
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