sis depuis cinq
minutes, que je vois paraitre un ange de beaute et que j'entends une
voix pure et touchante comme celle de mademoiselle Mars. C'etait bien
la beaute, c'etait bien la voix de ma pauvre Marthe; mais combien
poetisees, combien idealisees par la culture de l'esprit et par le
travail serieux de la seduction! Je vous le disais autrefois: une femme
qui n'est pas occupee avant tout du soin de plaire n'est pas une femme;
et dans ce temps-la, Marthe, en depit de tous ses dons naturels, avait
une indolence melancolique, une reserve humble et triste qui lui
faisaient perdre, la plupart du temps, tous ses avantages. Mais quelle
metamorphose, grand Dieu! s'est operee en elle! quel luxe de beaute,
quelle distinction de manieres, quelle elegance de diction, quel aplomb,
quelle grace aisee! et tout cela sans perdre cet air simple, chaste et
doux, qui jadis me faisait rentrer en moi-meme et tomber a genoux au
milieu de mes soupcons et de mes emportements! Elle a eu ce soir, je
vous l'assure, un succes, non pas eclatant, mais bien reel et bien
merite. Son role etait mauvais, faux, ridicule meme; elle a su le rendre
vrai, noble et saisissant, sans grands effets, sans moyens temeraires.
On applaudissait peu; on ne disait pas: C'est sublime, c'est delirant!
mais chacun regardait son voisin et disait: Voila qui est bien; comme
c'est bien! Oui, _bien_ est le mot qui convient. J'ai appris dans le
monde, ou l'on apprend quelques bonnes choses au milieu d'un grand
nombre de mauvaises, que le bien est plus difficile a atteindre que le
beau; ou, pour mieux dire, le bien est une face du beau plus raffinee,
plus chatiee que toutes les autres. Ah! vraiment, je serai fort aise que
toutes ces impertinentes eventees qu'on appelle femmes du monde voient
comme cette pauvre grisette sait marcher, s'asseoir, tenir son bouquet,
causer, sourire, avec plus de convenance et de charme qu'elles toutes!
Mais ou donc Marthe a-t-elle appris tout cela? Oh! que l'intelligence
est une force rapide et penetrante! Sur mon honneur, je ne me serais
jamais doute que Marthe en eut autant; et cette pensee m'a fait ouvrir
les yeux. Combien je l'ai meconnue! me disais-je en la regardant. Je
l'ai crue si souvent bornee ou extravagante, et la voila qui me donne un
dementi, et qui semble se venger de mon erreur, en se montrant accomplie
et triomphante, devant moi, a tout ce public, a tout Paris! car tout
Paris va bientot parler d'elle, et se disputer le plaisir de la
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