en cherchant a justifier sa conduite; et lors meme
qu'il eut ete assure de sortir vainqueur aux yeux du monde d'une lutte
contre la vicomtesse, la seule pensee d'affronter des humiliations comme
celles qu'il venait de subir le faisait fremir de douleur et de degout.
Il avait fait tant d'etalage de sa courte prosperite, tant aupres de ses
anciens amis que dans sa correspondance avec ses parents, qu'il n'osait
plus, dans sa detresse, s'adresser a personne. Et a vrai dire il ne
pouvait s'arreter a aucun projet. Il sentait bien que le plus court et
le plus sage etait de retourner dans son pays, et d'y travailler a une
oeuvre litteraire, afin de payer ses dernieres dettes et d'amasser de
quoi se mettre en route, a pied, pour l'Italie; mais il n avait pas ce
courage. Il savait que ses parents, abuses sur ses succes litteraires,
n'avaient pas manque de les proclamer sur tous les toits de leur petite
ville, et il craignait qu'un beau jour une medisance, recueillie par
hasard au loin, n'y vint changer en mepris la consideration qu'il
s'etait faite. Six mois plus tot, il eut emprunte gaiement et
insoucieusement un louis par semaine a differents camarades d'etudes.
Dans ce monde-la, nul ne rougit d'etre pauvre, et l'on se conte l'un a
l'autre en riant qu'on n'a pas dine la veille, faute de neuf sous pour
payer son ecot chez Rousseau. Mais quand on a frequente les salons
fermes aux necessiteux, quand on a eclabousse de son equipage les amis
qui vont a pied, on cache son indigence comme un vice et sa faim comme
un opprobre.
Cependant, un soir, Horace se decida a monter chez moi, non sans etre
revenu sur ses pas dix fois au moins. Son aspect etait dechirant a
voir; sa figure etait fletrie, ses joues creusees, ses yeux eteints.
Sa chevelure en desordre portait encore les traces de la frisure, et,
cherchant a reprendre son attitude naturelle, se dressait par meches
raides et contournees autour de son front. Le courage de dissimuler sa
misere sous un essai de proprete lui avait manque. On voyait dans toute
sa personne negligee et debraillee le decouragement profond ou il
s'etait laisse tomber. Sa chemise fine et plissee avec recherche, etait
sale et chiffonnee. Son habit, d'une coupe elegante, avait plusieurs
boutons emportes ou brises, et l'on voyait que depuis plusieurs jours il
n'avait pas songe a le brosser. Ses bottes etaient couvertes d'une boue
seche. Il n'avait pas de gants, et il portait, en guise de canne, un
gros baton plo
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