choix a faire. Le pain commencait a manquer. Il n'entendait rien
a la besogne qui lui etait confiee; on le renvoya encore. Il fut tour
a tour garcon chez un marchand de vins, batteur de platre,
commissionnaire, machiniste au theatre de Belleville, ouvrier
cordonnier, terrassier, brasseur, gache, gindre, et je ne sais quoi
encore. Partout il offrit ses bras et ses sueurs, la ou il trouva a
gagner un morceau de pain. Il ne put rester nulle part, parce que sa
sante n'etait pas retablie, et que, malgre son zele, il faisait moins
de besogne que le premier venu. La misere devenait chaque jour plus
horrible. Les vetements s'en allaient par lambeaux. La voisine avait
beau tricoter, elle ne gagnait presque rien. Marthe ne pouvait trouver
d'ouvrage; sa paleur, ses haillons, et son etat de nourrice, lui
nuisaient partout. Elle alla faire des menages a six francs par mois.
Et puis elle reussit a etre couturiere des comparses du theatre de
Belleville; et comme elle n'etait pas souvent payee par ces dames, elle
se decida a solliciter a ce theatre l'emploi d'ouvreuse de loges. On lui
prouva que c'etait trop d'ambition, que la place etait importante; mais
par pitie on lui accorda celle d'habilleuse, et les _grandes coquettes_
furent contentes de son adresse et de sa promptitude.
Ce fut alors que Paul, qui, dans son court emploi de machiniste, avait
ecoute les pieces et observe les acteurs avec attention, songea a
s'essayer sur le theatre. Il avait une memoire prodigieuse. Il lui
suffisait d'entendre deux repetitions pour savoir tous les roles par
coeur. On l'examina: on trouva qu'il ne manquait pas de dispositions
pour le genre serieux; mais tous les emplois de ce genre etaient
envahis, et il n'y avait de vacant qu'un emploi de comique, ou il
debuta par le role d'un valet fripon et battu. Arsene se traina sur
les planches, la mort dans l'ame, les genoux tremblants de honte et de
repugnance, l'estomac affame, les dents serres de colere, de fievre et
d'emotion. Il joua tristement, froidement, et fut outrageusement siffle.
Il supporta cet affront avec une indifference stoique. Il n'avait pas
ete braver ce public pour satisfaire un sot amour-propre: c'etait une
tentative desesperee, entre vingt autres, pour nourrir sa femme et son
enfant; car il avait epouse Marthe dans son coeur, et adopte le fils
d'Horace devant Dieu. Le directeur, en homme habitue a ces sortes de
desastres, rit de la mesaventure de son debutant, et l'engagea a ne pas
s
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