humide, la voix eteinte, les cheveux agites et les levres pales. La
vicomtesse se crut adoree, et la joie du triomphe la rendit belle et
jeune pendant quelques instants. Mais elle n'etait pas femme a ceder un
jour trop tot. Elle voulait, apres avoir pris tant de peine pour etre
attaquee, faire sentir le prix de sa pretendue defaite, et prolonger
le plus grand plaisir que connaissent les coquettes, celui de se faire
implorer.
Elle sembla tout a coup faire sur elle-meme un puissant effort, et
s'arrachant des bras d'Horace avec toute la mimique de l'effroi, de la
surprise et de la honte, elle le laissa consterne dans son boudoir, ou
cette scene venait d'etre jouee, et courut s'enfermer dans sa chambre.
Peut-etre croyait-elle qu'Horace forcerait sa porte. Il n'eut ni cet
esprit ni cette sottise. Il quitta le chateau, mortellement blesse, se
croyant joue, outrage, et en proie a une sorte de fureur. La vicomtesse
ne prit point cette susceptibilite pour une maladresse. Elle l'observa
comme une preuve d'orgueil immense, et ne se trompa guere. Elle se
felicita donc de son inspiration, voyant bien qu'il fallait briser cet
orgueil piece a piece, si elle ne voulait exposer le sien a de graves
atteintes.
Ce jeu egoiste et de mauvaise foi dura encore plusieurs jours. Horace
avait perdu tous ses avantages. Il bouda; on le ramena, toujours au nom
de l'amitie. On consentit a l'ecouter, apres l'avoir force a parler. On
lui imposa silence quand il eut dit tout ce qu'on desirait entendre. On
le nourrit de refus et d'esperances. On joua la candeur d'une amitie
fraternelle prise a l'improviste, et bouleversee par l'etonnement,
l'inquietude, la tendre compassion, le desir genereux et timide de
fermer une blessure qu'on semblait avoir faite involontairement. Leonie
s'en donna a coeur joie; mais, prise dans ses propres filets, elle
fut tout aussi ridiculement trompee que perfidement hypocrite. Elle
s'imagina lutter avec un amour serieux, combattre avec un remords encore
saignant, triompher d'un passe terrible. La pauvre Marthe servit d'enjeu
a cette partie. La vicomtesse crut effacer son souvenir, et ne se douta
pas que ce n'etait la qu'une fiction pour l'attirer dans le piege. Qui
fut trompe d'Horace ou de Leonie? Ils le furent tous deux; et le jour ou
ils succomberent l'un a l'autre, leur amour, si tant est qu'ils eussent
ressenti des feux dignes d'un si beau nom, etait epuise deja par les
fatigues et les ennuis de la guerre.
XXV
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