--Eugenie, ma chere, repliqua Horace, demi-trouble, demi-satisfait de
ce qu'il prenait pour une interrogation detournee, vous faites des
questions fort indiscretes; et je ne suis pas force de vous rendre
compte de ce qui a pu ou de ce qui pourrait se passer entre la
vicomtesse et moi.
--Je ne vous fais que des demandes auxquelles vous pouvez repondre sans
compromettre personne, et je ne vous pose qu'une question de principes.
N'est-il pas certain que vous ne feriez pas la cour a une femme qui se
livrerait sans combats?
--Vous le savez, je ne concois pas qu'on s'adresse a d'autres femmes
qu'a celles qui se defendent, et dont la conquete est perilleuse et
difficile.
--Je connais votre fierte a cet egard, et je dis qu'en ce cas vous
n'aurez jamais le droit de trahir aucune femme, parce que vous n'en
possederez aucune a qui vous n'ayez jure respect, devouement et
discretion. La diffamer apres, serait donc une lachete et un parjure.
--Ma chere amie, reprit Horace, je sais que vous avez cultive la
controverse a la salle Taitbout; je sais par consequent que toutes vos
conclusions seront toujours a l'avantage des droits feminins. Mais
quelque subtile que soit votre argumentation, je vous repondrai que je
n'acquiesce pas a cette domination que les femmes doivent s'arroger
selon vous. Je ne trouve pas juste que vous ayez le droit de nous faire
passer pour des sots, pour des impertinents ou pour des esclaves,
sans que nous puissions invoquer l'egalite. Eh quoi! une coquette
m'attirerait a ses pieds, m'agacerait durant des semaines entieres,
triompherait de ma prudence, me donnerait enfin sur elle, en echange
de sa victoire, les droits d'un epoux et d'un maitre, et puis elle
recommencerait le lendemain avec un autre, et se debarrasserait de moi
en disant a mon successeur, a ses amis, a ses femmes de chambre: "Vous
voyez bien ce paltoquet? il m'a obsedee de ses desirs; mais je l'ai
remis a sa place, et j'ai rabattu son sot amour-propre!" Ce serait un
peu trop fort, et, par ma foi, je ne suis pas dispose a me laisser jouer
ainsi. Je trouve qu'un ridicule est aussi serieux qu'aucune autre honte.
C'est meme peut-etre en France, a l'heure qu'il est, la pire de
toutes; et la femme qui me l'infligera peut s'attendre a de franches
represailles, dont elle se souviendra toute sa vie. C'est la peine du
talion qui regit nos codes.
--Si vous acceptez cette peine-la comme juste et humaine, repondit
Eugenie, je n'ai plus rien a dire. E
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