ecouvre quelque presence d'esprit, elle chercha dans le
battement des arteres a retrouver quelque symptome de vie. Il lui sembla
que le pouls battait encore; mais le sien propre etait si gonfle,
qu'elle ne sentait pas distinctement et qu'elle ne put s'assurer de la
verite. Elle marcha vers la porte pour appeler quelques voisins a
son aide; mais, se rappelant aussitot que parmi ces gens, qu'elle ne
connaissait pas encore, un scelerat ou un poltron pouvait livrer le
proscrit a la vengeance des lois, elle tira le verrou de la porte,
revint vers Arsene, joignit les mains, et demanda tout haut a Dieu, son
seul refuge, ce qu'il fallait faire. Alors, obeissant a un instinct
subit, elle essaya de soulever ce corps inerte. Deux fois elle tomba a
cote de lui sans pouvoir le deranger; puis tout a coup, remplie d'une
force surnaturelle, elle l'enleva comme elle eut fait d'un enfant, et
le deposa sur son lit de sangle, a cote d'un autre infortune, d'un
veritable enfant qui dormait la, insensible encore aux terreurs et aux
angoisses de sa mere. "Tiens, mon fils, lui dit-elle avec egarement,
voila comme ta vie commence; voila du sang pour ton bapteme, et un
cadavre pour ton oreiller." Puis elle dechira des langes pour essuyer et
fermer les blessures d'Arsene. Elle lava son sang colle a ses cheveux;
elle contint avec ses doigts les veines rompues, elle rechauffa ses
mains avec son haleine, elle pria Dieu avec ferveur du fond de son ame
desolee. Elle n'avait rien, et ne pouvait rien de plus.
Dieu vint a son secours, et Arsene reprit connaissance. Il fit un
violent effort pour parler.
"Ne prends pas tant de peine, lui dit-il; si mes blessures sont
mortelles, il est inutile de les soigner; si elles ne le sont pas,
il importe peu que je sois soulage un peu plus tot. D'ailleurs je ne
souffre pas; assieds-toi la, donne-moi seulement un peu d'eau a boire,
et puis laisse-moi ce mouchoir, j'arreterai moi-meme le sang qui coule
de ma poitrine. Laisse ta main sur ma tempe, je n'ai pas besoin d'autre
appareil. Dis-moi que je ne reve pas, car je suis heureux!... Heureux?"
ajouta-t-il avec effroi en se ravisant, car le souvenir de Laraviniere
venait de se reveiller. Mais en songeant que Marthe avait bien assez a
souffrir, il lui cacha l'horreur de cette pensee, et garda le silence.
Il but l'eau avec une avidite qu'il reprima aussitot. "Ote-moi ce verre,
lui dit-il; quand les blesses boivent, ils meurent aussitot. Je ne veux
pas mourir, Marthe; a
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