te divine. Je vois
bien que tu jeunes, je vois bien que tu couches sur le carreau avec
une poignee de paille sous ta tete, et je n'ose pas seulement te dire:
Reprends ton lit, et laisse-moi m'etendre sur cette litiere; car, a
cette idee-la, tu te revoltes, et tu m'accables d'une bonte qui me fait
trop de mal et trop de bien. Il faut que je reste la, que je subisse la
vue de tes fatigues, et que je sois calme, et que je dise: _Tout est
bien!_ Helas! mon Dieu, faites que je remporte cette victoire jusqu'au
bout!
"Pourvu, Marthe, lui dit-il dans un autre moment de calme qu'il eut le
lendemain, que tu n'ailles pas oublier ce que tu fais pour moi, et que
tu ne viennes pas me dire un jour, quand je te le rappellerai, que tu
n'as pas autant souffert que je veux bien le pretendre! C'est que je te
connais, Marthe: tu es capable de cette perfidie-la."
Un pale sourire effleura leurs levres a tous les deux; et, Marthe, se
penchant sur lui, imprima un chaste baiser sur le front de son ami.
C'etait la premiere caresse qu'elle osait lui donner depuis cinq
semaines qu'ils etaient enfermes ensemble tete a tete le jour et la
nuit. Durant tout ce temps, chaque fois que Marthe, dans une effusion
de douleur et d'effroi pour sa vie, s'etait approchee de lui pour
l'embrasser comme pour lui dire adieu, il l'avait toujours repoussee
vivement, en lui disant avec une sorte de colere: "Laisse-moi. Tu veux
donc me tuer?" C'etaient les seuls moments ou le souvenir de sa passion
avait paru se reveiller. Hors de ces emotions rapides et rares, que
Marthe avait appris a ne plus provoquer par son elan fraternel, ils
n'avaient pas echange un mot qui fit allusion aux malheurs precedents.
On eut dit qu'entre la paisible amitie de leur enfance et la tragique
journee du cloitre Saint-Mery il ne s'etait rien passe, tant l'un
mettait de delicatesse a detourner le souvenir des temps intermediaires,
tant l'autre eprouvait de honte et d'angoisse a les rappeler! Ce jour-la
seulement tous deux y songerent sans trouble au meme moment, et tous
deux comprirent que cette pensee pouvait cesser d'etre amere. Paul, loin
de repousser le baiser de Marthe, le rendit a son enfant avec plus de
tendresse encore qu'il n'avait fait la veille, et il ajouta avec une
sorte de gaiete melancolique: "Sais-tu, Marthe, que cet enfant est
charmant? On dit que ces petits etres sont tous laids a cet age-la;
mais ceux qui parlent ainsi n'en ont jamais regarde un avec des yeux de
pere!"
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