XXVIII.
Horace nous avait fait pressentir, des les premiers jours de son
assiduite au chateau de Chailly, les vues qu'il avait sur la vicomtesse
et les esperances qu'il avait concues. Eugenie l'avait raille de sa
fatuite; et moi, qui ne regardais point son succes comme impossible, je
ne l'avais pas felicite de cette entreprise. Loin de la: je lui avais
dit sans ambiguite le peu de cas que je faisais du caractere de Leonie.
Notre maniere d'accueillir ses confidences lui avait deplu, et il ne
nous en faisait plus depuis longtemps, lorsque le jour de sa victoire
arriva, et le remplit d'un orgueil impossible a reprimer. Ce jour-la, en
soupant avec nous, il ne put s'empecher de ramener a tout propos, dans
la conversation, les graces imposantes, l'esprit superieur, le tact
exquis, toutes les seductions qu'il voulait nous faire admirer chez la
vicomtesse. Eugenie, qui avait ete sa couturiere, et qui avait vu
sa beaute, ses belles manieres et son grand esprit en deshabille,
s'obstinait a ne pas partager cet enthousiasme et a declarer cette
femme hautaine dans sa familiarite, seche et blessante jusque dans ses
intentions protectrices. Le souvenir de Marthe, l'indignation qu'Eugenie
eprouvait secretement de la voir oubliee si lestement, rendirent ses
contradictions un peu ameres. Horace s'emporta, et la traita comme
une peronnelle, qui devait du respect a madame de Chailly, et qui
l'oubliait. Il affecta de lui dire qu'elle ne pouvait pas comprendre le
charme d'une femme de cette condition et de ce merite. "Mon cher Horace,
lui repondit Eugenie avec la plus parfaite douceur, ce que vous dites la
ne me fache pas. Je n'ai jamais eu la pretention de lutter dans votre
estime contre qui que ce soit. Si, en vous disant mon opinion avec
franchise, je vous ai blesse, mon excuse est dans l'interet que je vous
porte et dans la crainte que j'ai de vous voir tourmente et humilie par
cette belle dame, qui a joue beaucoup d'hommes aussi fins que vous, et
qui s'en vante meme devant ses _habilleuses_; ce que j'ai trouve, quant
a moi, de mauvais gout et de mauvais ton."
Horace etait de plus en plus irrite. Je tachai de le calmer en insistant
sur la verite des assertions d'Eugenie, et en le suppliant pour la
derniere fois de bien reflechir avant de s'exposer aux railleries de la
vicomtesse. Ce fut alors que, blesse de cette idee, et ne pouvant plus
se contenir, il nous ferma la bouche en nous annoncant dans des
termes fort clairs, qu'il ne
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