cause de toi, il me semble que je ne dois pas
mourir.
Cependant il fut durant toute cette nuit entre la mort et la vie. Devore
d'une soif furieuse, il eut le courage de s'abstenir. Marthe etait
parvenue a arreter le sang. Les blessures, quoique profondes, ne
constituaient pas par elles-memes l'imminence du danger; mais
l'exaltation, le chagrin et la fatigue allumaient en lui une fievre
delirante, et il sentait du feu circuler dans ses arteres. S'il eut cede
aux transports qui le gagnaient, il se fut ote la vie; car il sentait
la rage de destruction qui l'avait possede depuis deux jours se tourner
maintenant contre lui-meme. Dans cet etat violent, il conservait
cependant assez de force pour combattre son mal: son ame n'etait pas
abattue. Cette ame puissante, aux prises avec la desorganisation de la
vie physique, ressentait un trouble cruel, mais se raidissait contre
ses propres detresses, et, par des efforts presque surhumains, elle
terrassait les fantomes de la fievre et les suggestions du desespoir.
Vingt fois il se leva, pret a dechirer ses blessures, a repousser
Marthe, que par instants il ne reconnaissait plus et prenait pour un
ennemi, a trahir le secret de sa retraite par des cris de fureur, a se
briser la tete contre les murs. Mais alors il se faisait en lui des
miracles de volonte. Son esprit, profondement religieux, conservait,
jusque dans l'egarement, un instinct de priere et d'esperance; et il
joignait les mains en s'ecriant: "Mon Dieu! qu'est-ce que c'est? ou
suis-je? que se passe-t-il en moi et hors de moi? M'abandonneriez-vous,
mon Dieu? ne me donnerez-vous pas du moins une fin pieuse et resignee?"
Puis, se tournant vers Marthe: "Je suis un homme, n'est-ce pas? lui
disait-il; je ne suis pas un assassin, je n'ai pas verse a dessein le
sang innocent! je n'ai pas perdu le droit de l'invoquer! Dis-moi que
c'est bien toi qui es la, Marthe! dis-moi que tu esperes, que tu crois!
Prie, Marthe, prie pour moi et avec moi, afin que je vive ou que je
meure comme un homme, et non pas comme un chien."
Puis il enfoncait son visage sur le traversin, pour etouffer les
rugissements qui s'echappaient de sa poitrine; il mordait les draps pour
empecher ses dents de se broyer les unes contre les autres; et quand
les objets prenaient a ses yeux des formes chimeriques, quand Marthe se
transformait dans son imagination en visions effrayantes, il fermait les
yeux, il rassemblait ses idees, il forcait les hallucinations a ceder
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