puise cette
faible ressource, et se trouvait dans un denument absolu. Arsene n'etait
pas plus heureux. Depuis quelque temps; prevoyant, d'apres les discours
de Laraviniere, un bouleversement dans Paris, et voulant etre libre de
s'y jeter, il avait donne toutes ses petites epargnes a ses soeurs, et
les avait renvoyees en province. Croyant n'avoir plus qu'a mourir, il
n'avait rien garde. La situation de ces deux etres abandonnes etait donc
epouvantable. Tous deux malades, tous deux brises; l'un cloue sur un
lit de douleur, l'autre allaitant un enfant, ne vivant que de pain et
dormant sur la paille, n'etant pas meme abritee dans cette mansarde dont
elle n'osait pas faire reparer la fenetre, puisqu'un secret de mort
etait lie a cette trace d'effraction, et n'ayant d'ailleurs pas la force
de faire un pas. Et puis, ajoutez a ces empechements une sorte d'apathie
et d'impuissance morale, causee par les privations, l'epuisement, une
habitude de fierte outree, et l'isolement qui paralyse toutes les
facultes: et vous comprendrez comment, pouvant avertir Eugenie et moi
avec quelques precautions et un peu moins d'orgueil, ils se laisserent
deperir en silence durant plusieurs semaines.
L'enfant fut le seul qui ne souffrit pas trop de cette detresse. Sa mere
avait peu de lait; mais la voisine partageait avec le nourrisson celui
de son dejeuner, et chaque jour elle allait le promener dans ses bras
au soleil du quai aux Fleurs. Il n'en faut pas davantage a un enfant de
Paris pour croitre comme une plante frele, mais tenace, le long de ces
murs humides ou la vie se developpe en depit de tout, plus souffreteuse,
plus delicate, et cependant plus intense qu'a l'air pur des champs.
Pendant cette dure epreuve, la patience d'Arsene ne se dementit pas
un instant; il ne profera pas une seule plainte, quoiqu'il souffrit
beaucoup, non de ses blessures, qui ne s'envenimerent plus et se
fermerent peu a peu sans symptomes alarmants, mais d'une violente
irritation du cerveau qui revenait sans cesse et faisait place a de
profonds accablements. Entre l'exaltation et l'affaissement, il eut
peu d'intervalles pour s'entretenir avec Marthe. Dans la fievre, il
s'imposait un silence absolu, et Marthe ignorait alors combien il etait
malade. Dans le calme, il menageait a dessein ses forces, afin de
pouvoir lutter contre le retour de la crise. Il resulta de cette
resolution stoique une guerison dont la lenteur surprit Marthe, parce
qu'elle ne comprenait pas l
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