devant la raison; et de la main ecartant les spectres, il les exorcisait
au nom de la foi et de l'amour.
Cette lutte epouvantable dura pres de douze heures. Marthe avait pris
son enfant dans ses bras; et lorsque Paul perdait courage et s'ecriait
douloureusement: "Mon Dieu, mon Dieu! voila que vous m'abandonnez
encore!" elle se prosternait et tendait a Arsene cette innocente
creature, dont la vue semblait lui imposer une sorte de respect
craintif. Arsene n'avait encore exprime aucune pensee par rapport a cet
enfant. Il le voyait, il le regardait avec calme; il ne faisait
aucune question; mais des qu'il avait, malgre lui, laisse echapper un
gemissement ou un sanglot, il se retournait vivement pour voir s'il ne
l'avait pas eveille. Une fois, apres un long silence et une immobilite
qui ressemblait a de l'extase, il dit tout a coup:
"Est-ce qu'il est mort?
--Qui donc? demanda Marthe.
--L'_enfant_, repondit-il, l'enfant qui ne crie plus! il faut cacher
l'enfant, les brigands triomphent, ils le tueront. Donne-moi l'enfant
que je le sauve; je vais l'emporter sur les toits, et ils ne le
trouveront pas. Sauvons l'enfant: vois-tu, tout le reste n'est rien,
mais un enfant, c'est sacre."
Et ainsi en proie a un delire ou l'idee du devoir et du devouement
dominait toujours, il repeta cent fois: "L'_enfant_, l'enfant est sauve,
n'est-ce pas?... Oh! sois tranquille pour l'enfant, nous le sauverons
bien."
Quand il revenait a lui-meme, il le regardait, et ne disait plus rien.
Enfin cette agitation se calma, et il dormit pendant une heure. Marthe,
epuisee, avait replace l'enfant sur le lit, a cote du moribond. Assise
sur une chaise, d'un de ses bras elle entourait son fils pour le
preserver, de l'autre elle soutenait la tete de Paul; la sienne etait
tombee sur le meme coussin; et ces trois infortunes reposerent ainsi
sous l'oeil de Dieu, leur seul refuge, isoles du reste de l'humanite par
le danger, la misere et l'agonie.
Mais bientot ils furent reveilles par une sourde rumeur qui se faisait
autour d'eux. Marthe entendit des voix inconnues, des pas lourds et
presses qui lui glacerent le coeur d'epouvante. Des agents de police
visitaient les mansardes, cherchant des victimes. On approchait de la
sienne. Elle jeta les couvertures sur Arsene, nivela le lit avec ses
hardes, qu'elle cacha sous les draps, et, placant son enfant sur Arsene
lui-meme, elle alla ouvrir la porte avec la resolution et la force que
donnent les perils ex
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