II.
Ce jour de _bonheur_, memorable et funeste entre tous dans la vie
d'Horace, fut enregistre d'une maniere plus serieuse et plus solennelle
dans l'histoire. C'etait le 5 juin 1832; et quoique j'aie passe ce jour
et le lendemain dans l'ignorance complete de la tragedie imprevue dont
Paris etait le theatre, et ou plusieurs de mes amis furent acteurs,
j'interromprai le recit des bonnes fortunes d'Horace pour suivre Arsene
et Laraviniere au milieu du drame sanglant d'une revolution avortee. Ma
tache n'est pas de rappeler des evenements dont le souvenir est encore
saignant dans bien des coeurs. Je n'ai rien su de particulier sur ces
evenements, sinon la part que mes amis y ont prise. J'ignore meme
comment Laraviniere y fut mele, s'il les avait prevus, ou s'il s'y jeta
inopinement, pousse par les provocations de la force militaire au convoi
de l'illustre Lamarque, et par le desordre encore mal explique de cette
deplorable journee. Quoi qu'il en soit, cette lutte ne pouvait passer
devant lui sans l'entrainer. Elle entraina aussi Arsene, qui n'en
esperait point le succes; mais qui, desirant la mort, et voyant son cher
Jean la chercher derriere les barricades, s'attacha a ses pas, partagea
ses dangers, et subit l'heroique et sombre enivrement qui gagna les
defenseurs desesperes de ces nouvelles Thermopyles. A l'heure derniere
de ces martyrs, comme la troupe envahissait le cloitre Saint-Mery,
Laraviniere, deja crible, tomba frappe d'une derniere Balle.
[Illustration: Arsene fut un de ceux qui s'echapperent par un toit.]
"Je suis mort, dit-il a Arsene, et la partie est perdue. Mais tu peux
fuir encore; pars!
--Jamais, dit Arsene en se jetant sur lui; ils me tueront sur ton corps.
--Et Marthe! repondit Laraviniere, Marthe qui existe peut-etre, et qui
n'a que toi sur la terre! La derniere volonte d'un mourant est sacree.
Je te legue l'avenir de Marthe, et je t'ordonne de sauver ta vie pour
elle. Puisqu'il n'y a plus rien a faire ici, tu peux et tu dois te
soustraire a ces bourreaux qui s'approchent, ivres de vengeance et de
vin; pauvres soldats qui se croient vainqueurs cent contre un!"
Deux minutes apres, l'intrepide Jean tomba inanime sur le sein d'Arsene.
La maison, dernier refuge des insurges, etait envahie. Arsene fut un de
ceux qui s'echapperent par un toit. Cette evasion tint du miracle, et
arracha malheureusement peu de braves a la furie des assaillants. Cache
a plusieurs reprises dans des cheminees, dans des lu
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