us conseille de vous en tenir encore pendant cinq ou six
ans aux femmes enthousiastes et folles qui se tuent par amour ou par
depit. Quand vous en aurez detruit ou desole une douzaine, vous
serez mur pour la grande entreprise, concue par vous temerairement
aujourd'hui, d'attaquer une femme du monde.
--C'est une lecon? je l'accepte; mais je la veux entiere et serieuse
afin d'en pouvoir profiter. Voyons, sans dedain, sans mechancete,
Monsieur, une femme du monde est donc bien forte, bien invincible pour
un homme qui n'est pas du monde?
--Tout au contraire. Rien n'est si facile que de vaincre comme vous
l'entendez la plus forte de ces femmes-la. Vous voyez que je ne suis ni
dedaigneux, ni mechant pour vous.
--En ce cas... achevez, dites tout.
--Vous le voulez? Apprenez donc qu'il est facile de triompher des desirs
et de la curiosite d'une femme. Ceci n'est rien. Sans jeunesse, sans
beaute, avec quelque esprit seulement, on y parvient tous les jours.
Maie n'etre pas culbute le lendemain par ce coursier indocile qu'on
appelle la _reflexion_, voila ce qui n'est pas donne a tous, et ce qui
demande un certain art. Vous pourriez des cette nuit, par surprise,
obtenir ce qu'on repute la victoire. Mais vous pourriez bien aussi etre
econduit demain soir, et rencontrer apres-demain votre conquete sans
qu'elle vous rendit seulement un salut.
--En est-il ainsi? sont-ce la leurs facons d'agir?
--Ce sont la leurs droits; qu'y trouvez-vous a redire? Nous les
obsedons; nous violentons leurs pensees, leur imagination, leur
conscience; a force de ruse et d'audace nous arrachons leur
consentement, et elles ne pourraient pas se raviser au moment ou notre
desir perd son intensite avec sa puissance! Elles ne pourraient pas
se venger d'avoir ete gagnees au jeu, et prendre leur revanche a
la premiere occasion! Allons donc! sommes-nous musulmans pour leur
interdire le jugement et la liberte?
--Vous avez raison, et je commence a comprendre. Mais quelle est donc
cette science mysterieuse sans laquelle on ne peut leur plaire plus d'un
jour?
--Eh mais, c'est la science de ne jamais deplaire! C'est une grande
science, croyez-moi.
--Enseignez-la-moi, je veux l'apprendre," dit Horace.
Alors le vieux marquis, avec une complaisance secrete pour lui-meme et
avec le pedantisme de sa vanite satisfaite par les sacrifices humiliants
et les intrigues pueriles d'un demi-siecle de galanterie, exposa
longuement ses plans et sa doctrine a Horac
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