ice elle-meme en le
poignardant. Cette reaction violente n'etait pas chez elle l'effet de la
vertu outragee, mais celui de la vanite blessee et humiliee. Elle, si
hautaine et si eprise d'elle-meme, appartenir a un homme vieux, laid et
froid! Elle en faillit mourir, et ce fut la le le plus grand chagrin de
sa vie. Le marquis en fut effraye, lui qui ne l'avait jamais ete; aussi
travailla-t-il a la rassurer et a la relever a ses propres yeux avec
un soin et un zele qui depassaient tous ses miracles precedents en
ce genre. Pour rien au monde il n'eut voulu laisser dans une ame si
dedaigneuse et si vindicative un souvenir odieux. Il alla jusqu'a jouer
le remords, le desespoir et la passion, et il le fit si bien, que la
vicomtesse crut etre le premier amour de ce vieillard blase. Son premier
soin fut de lui trouver et de lui donner un amant qui consolat son
amour-propre, et il y parvint sans que cet homme se doutat de son plan
et s'apercut de son concours. Leonie ne savait pas que le marquis avait
agi ainsi avec toutes les femmes dont il avait voulu rester l'ami; et
puis il fit pour elle cette difference, qu'avec les autres il avait
parle en philosophe du dix-huitieme siecle, et qu'avec elle il parla
en heros du dix-neuvieme. Il feignit de se sacrifier, de s'arracher le
coeur en se donnant un rival; et comme elle aimait a se croire capable
d'inspirer un sentiment sublime, elle accepta le role nouveau qu'il
venait de creer pour elle. De son cote, il y gouta le plaisir d'inspirer
une reconnaissance exaltee; et ils jouerent ensemble cette comedie tout
le reste de leur vie. Il fut le confident resigne de tous ses caprices
et l'entremetteur sentimental de toutes ses intrigues. Trop vieux
desormais pour pretendre au partage, il s'en consola en se voyant prone
et cajole ouvertement par une femme qui eut rougi d'avouer l'origine de
leur intimite, mais qui le declarait l'homme le plus remarquable,
le plus grand esprit, et le plus beau caractere qu'elle eut jamais
rencontre. Les femmes de seconde et de troisieme jeunesse, qui avaient
connu le marquis a leurs depens, n'etaient pas dupes de cette amitie
filiale; mais elles ne se vantaient pas d'en avoir devine la cause; et
lorsqu'il arrivait a quelqu'une d'entre elles de dire _amen_ a tous les
eloges que decernait Leonie au marquis, c'etait quelque chose d'assez
curieux que la contenance chaste et calme de ces deux femmes qui
esperaient se tromper reciproquement, et qui savaient tres-bien
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