mme sur_; et bien qu'a son regard doucereusement cynique, a ses
propos delicatement obscenes, a son ton finement dogmatique en matiere
de galanterie, on reconnut en lui le libertin superieur, le debauche de
premier ordre, jamais le nom d'une de ses maitresses, fut-elle morte
depuis quarante ans en odeur de saintete, ne s'etait echappe de ses
levres; jamais une femme n'avait ete compromise par lui. Econduit, il
ne s'etait jamais plaint; trahi, il ne s'etait jamais venge. Aussi le
nombre de ses conquetes avait ete fabuleux, quoiqu'il eut toujours ete
fort laid. N'aimant point par le coeur, et sachant bien qu'il ne devait
ses triomphes qu'a son adresse, il n'avait jamais ete aime; mais partout
il s'etait rendu necessaire, et avait conserve ses droits plus longtemps
que ne le font les hommes qu'on aime, et qui nuisent a la reputation et
au repos. Tant qu'il desirait, il etait le persecuteur le plus dangereux
du monde, et fascinait par une audace perseverante et glacee. Des qu'il
possedait, il redevenait non-seulement inoffensif, mais encore utile
et precieux. Il se conduisait genereusement, faisait les actes du
devouement le plus delicat, travaillait a reparer l'existence de la
femme qu'il avait souillee, en un mot, relevait en public, par sa tenue,
ses discours et sa conduite, la reputation de celle qu'il avait perdue
en secret. Il faisait tout cela froidement, systematiquement, soumettant
toutes ses intrigues a trois phases bien distinctes, tromper, soumettre
et conserver. Au premier acte, il inspirait la confiance et l'amitie; au
second, le honte et la crainte; au troisieme, la reconnaissance et meme
une sorte de respect: bizarre resultat de l'amour a la fois le plus
deloyal et le plus chevaleresque qui soit jamais passe par une cervelle
humaine.
La vicomtesse Leonie avait ete une des dernieres victimes du marquis.
Desormais elle etait la femme a laquelle il se montrait le plus devoue.
Le drame immonde de la seduction avait ete aussi plus serieux pour lui,
avec elle, qu'avec la plupart des autres. Il n'avait pas trouve chez
elle le moindre entrainement, et il avait ete force d'attaquer et de
flatter sa vanite, plus ingenieusement et plus patiemment peut-etre
qu'il ne l'avait fait de sa vie. Sa triste victoire avait excite chez
Leonie un degout profond, un ressentiment amer, voisin de la haine et de
la fureur. Elle l'avait menace de devoiler sa conduite a sa famille, de
demander vengeance a son mari, meme de se faire just
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