ace perdue est une veritable bonne fortune. Horace, sans
songer que les courtisans de la royaute absolue avaient degenere dans
leur genre, tout aussi bien que les preux de la feodalite, crut voir un
Lauzun ou un Crequi dans le marquis de Vernes. Peu s'en fallut qu'il
n'y vit, en d'autres moments, un duc de Saint-Simon. Ce qu'il y a de
certain, c'est qu'il se prit pour lui d'un respect et d'une admiration
qui se resumaient dans le desir de l'egaler et de le copier autant
que possible. Horace avait une telle mobilite d'esprit, il etait si
impressionnable, qu'il ne pouvait se defendre de l'imitation. Il n'y
avait pas trois jours qu'il allait au chateau, que deja il s'essayait
devant nous a prononcer du bord des levres comme le marquis, et qu'il me
conjura de lui donner une des tabatieres de mon pere afin de s'exercer a
semer elegamment du tabac sur sa chemise, copiant l'indolence gracieuse
du vieillard, aussi bien que pouvait le faire un etudiant de seconde
annee, c'est-a-dire de la facon la plus ridicule du monde. Eugenie l'en
avertit, et le mortifia beaucoup; car il avait oublie que le modele
etait assez pres de nous pour oter a son plagiat toute apparence
d'originalite. Mais il n'en resta pas moins decide a singer le marquis
devant tous ceux qui ne pourraient pas faire, comme nous, la comparaison
du maitre avec l'ecolier.
Grace a une des anomalies nombreuses de son caractere, tandis qu'il nous
rendait temoins de ses tentatives d'affectation, a un quart de lieue de
la, sous les yeux de la vicomtesse, il deployait tous les charmes de
la simplicite. Qui eut pu deviner que c'etait la encore un role, et
toujours une maniere d'etre arrangee pour l'effet? Horace avait, certes,
une ingenuite reelle; mais il s'en servait et s'en debarrassait suivant
l'occurrence. Quand elle lui reussissait, il s'y laissait aller, et il
etait _lui-meme_, c'est-a-dire adorable. Quand elle lui nuisait, il
entrait dans n'importe quel role, avec une facilite inconcevable, et il
dominait quand il n'avait pas affaire a trop forte partie. Ce jeu-la eut
ete bien dangereux avec le vieux marquis, qui en savait plus long que
lui, et encore plus avec la vicomtesse, eleve du vieux roue, et capable
de lutter avec avantage contre son maitre lui-meme. Aussi Horace,
prenant le parti d'etre naturel, les seduisit tous deux. Le marquis
n'aimait pas les jeunes gens, bien que, dans la societe des femmes
auxquelles il s'etait voue, il fut force de vivre sans cesse au
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