serment terrible me
lie. Je ne puis agir en aveugle dans une circonstance aussi grave; il
me faut un bon conseil, et vous seul pouvez me le donner. Voyons!
mettez-vous a ma place: si vous etiez engage sur la vie, sur l'honneur,
sur tout ce qu'il y a de sacre, a partager les convictions et a seconder
les efforts d'un homme en matiere politique, et si tout a coup vous
aperceviez que cet homme se trompe, qu'il va commettre une faute,
compromettre sa cause... je dis plus, si vos idees avaient depasse
les siennes, et que ses principes fussent devenus absurdes a vos
yeux dessilles, pensez-vous qu'il aurait le droit de vous mepriser;
pensez-vous que quelqu'un au monde aurait celui de vous blamer, pour
avoir delaisse l'entreprise et rompu avec ses moteurs a la veille d'y
mettre la main? Dites, Theophile: ceci est bien serieux. Il y va de ma
reputation, de ma conscience, de tout mon avenir.
--D'abord, lui dis-je, je suis heureux de vous entendre parler de votre
avenir; car il y a un mois que je m'effraie de vos idees sombres et de
vos continuelles pensees de mort. Maintenant vous me prenez pour
arbitre a propos d'un fait ou d'un sentiment politique. Me voila bien
embarrasse; vous savez combien ma position est fausse sur ce terrain-la:
fils de gentilhomme, ami et parent de legitimistes, j'ai une sorte de
dignite exterieure assez delicate a garder. Bien que mes principes, mes
certitudes, ma foi, mes sympathies soient encore plus democratiques
peut-etre que ceux de Laraviniere et consorts, je ne puis, chose etrange
et penible, leur donner la main pour faire un seul pas avec eux.
J'aurais l'air d'un transfuge; je serais meprise dans le camp ou j'ai
ete eleve; je serais repousse avec mefiance de celui ou je viendrais
me presenter. Mon sort est celui d'un certain nombre de jeunes gens
sinceres qui ne peuvent desavouer du jour au lendemain la religion de
leurs peres, et qui pourtant ont le coeur chaud et le bras solide. Ils
sentent que la cause du passe est perdue, qu'elle ne merite pas d'etre
disputee plus longtemps, que la victoire des novateurs est juste et
sainte. Ils voudraient pouvoir arborer les couleurs nouvelles de
l'egalite, qu'ils aiment et qu'ils pratiquent. Mais il y a la une
question de convenances qu'on ne leur permet pas de violer, et que, de
toutes parts, on les force a respecter, quoique, de toutes parts, on
sache aussi bien qu'eux qu'elle est arbitraire, vaine et injuste. Je
suis donc force de m'abstraire de tout co
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