s voeux; et Jean, dont le
faible etait de tout pardonner, a la condition qu'on prendrait un fusil
pour moyen d'expiation, lui rendit promptement son estime, sa confiance
et son devouement. Il consentit pendant plusieurs jours a le soigner, a
le promener, a l'exciter par les preparatifs de cette grande journee que
chaque jour il lui promettait pour le lendemain, et Horace, recommencant
les apprets de sa mort, cessa de pleurer Marthe, et n'osa plus parler
d'elle.
Un mois s'etait ecoule depuis la disparition de cette jeune femme. Aucun
de nous n'avait rien decouvert sur son compte; et ce profond silence
de sa part, dont Eugenie et Arsene surtout s'etaient flattes d'etre
exceptes, nous rejeta dans une morne epouvante. Je commencai a croire
qu'elle avait ete cacher loin de Paris un suicide, ou tout au moins une
maladie grave, une mort douloureuse, et je n'osai plus me livrer avec
mes amis aux commentaires que je faisais interieurement. Je crois que le
meme decouragement s'etait empare des autres. Je ne voyais presque plus
Arsene. Horace ne prononcait plus le nom de l'infortunee, et semblait
nourrir des projets sinistres qu'il me faisait entrevoir d'un air
tragique et sombre. Eugenie pleurait souvent a la derobee. Laraviniere
etait plus conspirateur que jamais, et la politique l'absorbait
entierement.
Sur ces entrefaites, madame de Chailly la mere m'ecrivit que le cholera
venait de faire irruption dans la petite ville que ses proprietes
avoisinaient. Elle tremblait, non pour elle-meme (elle n'y songeait
seulement pas), mais pour ses amis, pour sa famille, pour ses paysans,
et m'engageait de la maniere la plus pressante et la plus affectueuse
a venir passer dans le pays cette triste epoque. Il n'y avait pas de
medecin dans nos campagnes; le cholera cessait a Paris. Je vis un devoir
d'humanite et d'amitie en meme temps a remplir, car tous les anciens
amis de mon pere etaient menaces. Je me disposai a partir et a emmener
Eugenie.
Horace vint a plusieurs reprises me faire ses adieux. Il me felicitait
de pouvoir quitter _cette affreuse Babylone_. Il enviait mon sort a tous
les egards; il eut bien desire pouvoir _s'en aller_ avec moi. Enfin,
je vis qu'il avait besoin de s'epancher; et, suspendant pour quelques
heures mes apprets de depart, je l'emmenai au Luxembourg, et le priai
de s'expliquer. Il se fit prier beaucoup, quoiqu'il mourut d'envie de
parler. Enfin il me dit:
"Eh bien, il faut vous ouvrir mon coeur, quoiqu'un
|