ie! Oh!... la Siberie!...
quel enfer!... Quelle terreur de songer que, pour moi, a cause de moi,
vous y seriez tous!... Je me sens devenir fou a cette pensee... Vous...
le general... Natasha!... Oh! mon Dieu! pitie! pitie!... sauvez-les!...
Prenez-moi seul!... Que seul je souffre pour tous ces etres si
chers!..."
Romane tomba a genoux, la tete dans ses mains. Le general etait
consterne; Mme Dabrovine pleurait; Derigny etait emu. Il s'approcha de
Romane.
"Courage, lui dit-il, rien n'est perdu. Le danger n'existe pas depuis
que le general donne, par son depart volontaire, la gestion de toute sa
fortune a Mme Papofski. L'interet qui guide ses actions doit arreter
toute denonciation. Les biens seraient mis sous sequestre; Mme Papofski
n'en jouirait pas, et elle n'aurait que l'odieux de son crime, dont
l'Etat seul profiterait.
--C'est vrai... Oui... C'est vrai... dit Romane s'eveillant comme d'un
songe. J'etais fou! Le danger m'avait ote la raison! Pardonnez-moi, tres
chers amis, les terreurs que j'ai fait naitre en m'y livrant moi-meme...
Pardonnez. Et vous, mon cher Derigny, recevez tous mes remerciements; je
vous suis sincerement reconnaissant."
Romane lui serra fortement les deux mains.
"Redoublons de prudence, ajouta-t-il. Encore quelques jours, et nous
sommes tous sauves. Au revoir, cher comte; je retourne a mon poste,
que j'ai deserte, et si les Papofski recommencent, j'abonderai dans la
pensee de Natasha, qui croyait que j'etais en colere et que c'etait par
haine des Polonais que je m'agitais."
Il sortit en souriant, laissant ses amis calmes et rassures. Quand il
rentra, il trouva tous les enfants groupes autour de Natasha, qui leur
parlait avec une grande vivacite. Il s'arreta un instant pour considerer
ce groupe compose de physionomies si diverses. Quand Natasha l'apercut,
il souriait.
"Ah! vous voila, monsieur Jackson? Et vous n'etes plus fache, je le vois
bien. Mes cousins, voyez, M. Jackson vous pardonne; mais ne recommencez
pas; pensez a ce que je vous ai dit... Et vous, dit-elle en s'approchant
de M. Jackson d'un air suppliant et doux, ne detestez pas les pauvres
Polonais (Jackson tressaille). Je vous en prie... mon cher monsieur
Jackson!... Ils sont si malheureux! On ne leur laisse ni patrie, ni
famille, ni meme leur sainte religion! Comment ne pas les plaindre et
ne pas les aimer?... N'est-ce pas que vous tacherez de... de... les
aimer..., pour ne pas etre trop cruel."
M. Jackson la regard
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