s. Je m'etendis ensuite sur un banc, ou je m'endormis
profondement jusqu'au jour.
"Avant de quitter ces braves gens, j'acceptai encore un repas de soupe
aux choux et de kasha. On remplit mes poches de pain bis; ils ne
voulurent pas recevoir l'argent que je leur offrais, et je me remis en
route avec un nouveau courage.
"A la fin d'avril j'arrivai pres de Vologda; je trouvai facilement
du travail dans une tannerie situee loin de la ville et de toute
habitation; j'y travaillai pres d'un mois, puis je continuai mon voyage
avec cinquante roubles de plus dans ma poche.
"Je continuai a coucher dans les bois; j'eus le bonheur d'eviter toute
rencontre de gendarmes et de soldats, comme j'avais evite les ours qui
remplissent les forets de l'Oural.
"J'achetais du pain dans les maisons isolees que je rencontrais. Une
fois je faillis etre denonce comme brigand par un vieillard chez lequel
j'etais entre pour demander un pain. Il me dit d'attendre, qu'il allait
m'en apporter.
"A peine etait-il sorti, que sa fille courut a un coffre, en retira un
pain, et dit en me le donnant:
"Pars vite, pauvre homme, mon pere est alle a la ville chercher des
gendarmes. Tourne dans le sentier a droite qui passe dans les bois, et
cours pour qu'on ne te prenne pas. Je dirai que tes amis sont venus te
chercher."
"Je la remerciai, et je pris de toute la vitesse de mes jambes le chemin
que cette bonne fille m'avait indique. Je courus pendant plusieurs
heures, me croyant toujours poursuivi. Mon voyage devint de plus en plus
perilleux a mesure que j'approchais du centre de la Russie. J'osais a
peine acheter du pain pour soutenir ma miserable, existence, quand me
trouvai pres de Smolensk, dans les bois de votre excellent oncle, dont
j'ignorais le sejour dans le pays; je n'avais rien pris depuis deux
jours et je n'avais plus un kopeck pour acheter un morceau de pain. Il
y avait pres d'un an que j'avais quitte Ekaterininski-Zavod, un an que
j'errais inquiet et tremblant, un an que je priais Dieu de terminer mes
souffrances. Elles ont trouve une heureuse fin, grace a la genereuse
hospitalite de votre bon oncle, grace a votre bonte a tous, dont
je garderai un souvenir reconnaissant jusqu'au dernier jour de mon
existence.
--Bien raconte et bien termine, mon pauvre Romane, dit le general en
lui serrant les mains; vous nous avez tous fait fremir plus d'une fois
d'indignation et de terreur; ma niece et Natasha ont encore des larmes
dans les yeux; ma
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