nt le souvenir faisait battre le coeur des Derigny, un peu celui du
general, et dont la reputation faisait fremir d'impatience Natasha et
ses freres. Romane restait calme: il se trouvait heureux et ne desirait
pas changer de position. Il voulait seulement trouver une maniere
convenable de gagner sa vie quand il aurait fini l'education d'Alexandre
et de Michel.
"Si Dieu voulait bien me faire sortir de ce monde quand cette tache sera
finie, pensait-il, ce serait un de ses plus grands bienfaits; quelle
triste vie je menerai loin de cette chere famille que j'aime si
tendrement!"
Le general voulut rester quelque temps a Paris; une fois etabli a
l'hotel du Louvre, il permit aux Derigny d'aller rejoindre a Loumigny
Elfy et Moutier.
"Vous nous annoncerez, leur dit-il; et je vous charge, mon ami, de nous
preparer des logements."
Le general acheta une foule de choses de menage et de toilette pour Elfy
et Moutier, et les remit a Mme Derigny pour qu'elle n'arrivat pas les
mains vides, attention delicate qui les toucha vivement.
Derigny et sa famille se mirent immediatement en route; partis de Paris
le soir, a huit heures, ils arriverent a Loumigny le lendemain de grand
matin, par la correspondance d 'Alencon. Voulant faire une surprise a
Elfy et a Moutier, Derigny fit arreter la voiture a l'entree du village;
ils se dirigerent a pied vers l'Ange-gardien. Mme Derigny eut beaucoup
de peine a retenir Jacques et Paul, qui voulaient courir en avant; la
porte de l'auberge etait ouverte; les Derigny entrerent sans bruit, et
virent Elfy et Moutier assis a la porte de leur jardin. Elfy pleurait.
Le coeur de Mme Derigny battit plus fort.
"Il y a si longtemps que je n'ai eu de leurs nouvelles, mon ami! disait
Elfy. Je crains qu'il ne leur soit arrive malheur. On peut s'attendre a
tout dans un pays comme la Russie.
--Chere Elfy, tu as donc perdu ta confiance en Dieu et en la sainte
Vierge? Esperons et prions.
--Et vous serez exauces, mes chers, chers amis!" s'ecria Mme Derigny en
s'elancant vers Elfy, qu'elle saisit dans ses bras en la couvrant de
baisers.
Jacques et Paul s'etaient jetes dans les bras de Moutier, qui les
embrassait; il quittait l'un pour reprendre l'autre; il embrassa a les
etouffer Derigny et sa femme; Elfy pleurait de joie apres avoir pleure
d'inquietude. Toute la journee fut un enchantement continuel; chacun
racontait, questionnait sans pouvoir se lasser. Moutier et Elfy firent
voir a leur soeur et a le
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