is tout cela est du passe, Dieu merci! et comme il
faut vivre du present et non du passe, je demande a entamer quelques
comestibles, car je meurs de faim et de soif; il y a deux heures que
nous vous ecoutons.
--Ces heures ont passe bien vite, dit Natasha.
Le general, souriant: "Voyez-vous, la mechante. Elle trouve que vous
n'en avez pas assez et que vous auriez du subir d'autres tortures,
d'autres malheurs, pour lui faire le plaisir de les entendre raconter."
Natasha: "Mon oncle, la faim vous fait oublier vos bons sentiments, sans
quoi vous n'auriez pas fait une si malicieuse interpretation de mes
paroles. Monsieur Jacks..., pardon, je veux dire prince Romane,
demandez, je vous prie, a Derigny de nous passer quelques provisions."
Le prince s'empressa d'obeir.
Le general, riant et la bouche pleine: "Dis donc, Natasha, a present que
Romane t'apparait dans toute sa grandeur, ne va pas le traiter comme un
Jackson."
Le prince: "Au contraire, mon cher comte, plus que jamais elle doit voir
en moi un ami devoue pret a la servir en toute occasion. Ne suis-je pas
a jamais votre oblige a tous? Et j'ose esperer qu'aucun de vous n'en
perdra le souvenir. N'est-ce pas, chere madame Dabrovine, que vous
n'oublierez pas votre fidele Jackson?"
Madame Dabrovine: "Certainement non; je puis bien vous le promettre."
Le general: "Alors jurons tous; faisons le serment des Horaces!"
Le general avanca son bras, un os de poulet a la main; ses compagnons
ne l'imiterent pas; mais ils se jurerent tous en riant la fidelite des
Horaces.
Le general: "Mangez donc, sac a papier! Il faut noyer, etouffer le passe
dans le vin et dans le bon pate que voici. Eh! Derigny, ou avez-vous eu
ce pate?"
Derigny: "A la derniere station avant la frontiere, mon general."
Le general: "Bon pate, parbleu! c'est un dernier souvenir de ma pauvre
patrie. Mange, Natasha; mange, Natalie; mange, Romane."
Et il leur donnait a tous des tranches formidables.
Madame Dabrovine: "Jamais je ne pourrai manger tout cela, mon oncle."
Le general: "Allons donc! Avec un peu de bonne volonte tu iras jusqu'a
la fin. Tiens, regarde comme j'avale cela, moi."
Mme Dabrovine sourit; Natasha rit de tout son coeur; Romane joignit son
rire au sien.
Le general: "On voit bien que tu as passe la frontiere, mon pauvre
garcon; voila que tu ris de tout ton coeur."
Romane: "Oh oui! mon ami, j'ai le coeur leger et content."
Le repas fut copieux pour le general et gai
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