de durete pour se bien faire voir de ses chefs.
"Nous arrivames enfin a Ekaterininski-Zovod; on nous mena devant le
smotritile (surveillant), qui nous regarda longtemps, nous interrogea
sur ce que nous savions faire, fit inscrire dans les premiers numeros
ceux qui savaient lire, ecrire, compter. Il me questionna longuement,
parut content de ma science, et me designa pour travailler aux travaux
de routes et de constructions. On nous ota nos fers, et l'on indiqua a
chacun le cachot de son numero; j'eus le numero 1; on dit que j'etais le
mieux partage. C'etait sale, petit, sombre, mais logeable; il y avait
de l'air suffisamment pour respirer; du jour assez pour retrouver ses
effets; un lit passablement organise pour y dormir; un escabeau assez
solide pour vous porter, et un baquet pour recevoir les eaux sales. "Mes
premiers jours de travail exterieur furent terribles; on nous occupait
expres aux travaux les plus rudes; on nous forcait a porter ou a tirer
des poids enormes; les coups de fouet n'etaient pas menages, et si une
plainte, un gemissement nous echappait, il fallait subir le fouet en
regle, et ensuite, avec les epaules dechirees, il fallait reprendre le
travail interrompu par la punition. Dans la soiree, un autre supplice
commencait pour moi; on profitait de mon savoir pour me faire faire
le travail des bureaux; il fallait, en un temps toujours insuffisant,
ecrire ou copier un nombre de pages presque impossible. Et, quand on
n'avait pas fini a l'heure voulue, la peine du fouet recommencait plus
ou moins cruelle, selon l'humeur plus ou moins excitee du smotritile.
"J'eus le bonheur d'echapper en toute occasion a toute punition
corporelle, force de zele et d'activite; mais il n'en fut pas ainsi de
mes malheureux compagnons de travail. La nourriture etait insuffisante
et si mauvaise, qu'il fallait la faim qui nous torturait pour manger les
aliments qu'on nous presentait.
XIX
EVASION DU PRINCE
"J'ai vecu ainsi pendant deux ans; je n'eus, pendant ces deux annees,
d'autre espoir, d'autre desir, d'autre idee que de m'echapper de cet
enfer rendu plus horrible par les souffrances, les desespoirs, les
maladies, la mort de mes compagnons de misere. Je preparais tout pour ma
fuite. J'avais etudie avec soin les cartes geographiques qui tapissaient
les murs; j'avais adroitement et longuement interroge les marchands qui
couraient le pays, qui allaient aux foires et qui venaient faire des
affaires avec les gens de la v
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