apres,
nous etions a Para. Je descendis dans une des rues de la ville; je
m'approchai d'une fenetre basse, et je demandai a haute voix, comme font
les Russes:
"Y a-t-il des chevaux?"
Le paysan: "Pour aller ou?"
Moi: "A la foire d'Irbite."
Le paysan: "Il y en a une paire."
Moi: "Combien la verste?"
Le paysan: "Huit kopecks."
Moi: "C'est trop! Six kopecks?"
Le paysan: "Que faire? Soit. Dans l'instant."
"Quelques minutes apres, les chevaux etaient atteles au traineau.
"D'ou etes-vous? me demanda-t-on.
"--De Tomsk; je suis le commis de Golofeief; mon patron m'attend a
Irbite. Je suis fort en retard; je crains que le maitre ne se fache: si
tu vas vite, je te donnerai un pourboire."
"Le paysan siffla, et les chevaux partirent comme des fleches. Mais la
neige commenca a tomber, epaisse et serree; le paysan perdit son chemin,
et, apres des efforts inutiles pour le retrouver, il me declara qu'il
fallait passer la nuit dans la foret. Je fis semblant de me mettre en
colere; je menacai de me plaindre a la police en arrivant a Irbite; rien
n'y fit; nous fumes obliges d'attendre le jour. Cette nuit fut affreuse
d'inquietudes et d'angoisses. Je me croyais trahi par mon guide, comme
l'avait ete quelques annees auparavant l'infortune Wysocki, forcat comme
moi, fuyant comme moi, et qui, apres avoir ete egare toute une nuit
comme moi dans la foret ou j'etais, fut livre aux gendarmes par son
conducteur. Quand le jour parut, je menacai encore mon paysan de le
livrer a la police pour m'avoir fait perdre mon temps. Le malheureux;
fit son possible pour retrouver quelques traces du chemin qu'il avait
bien reellement perdu, et, au bout de quelques instants, il s'ecria tout
joyeux:
"--Voici des traces que je reconnais; c'est le chemin que nous devions
suivre.
"--Va donc, lui dis-je, et a la grace de Dieu!"
"Le paysan fouetta ses chevaux et arriva bientot chez un ami qui me
donna du the et d'autres chevaux pour continuer ma route. Je changeai
ainsi de chevaux et de traineau jusqu'a Irbite; j'avais couru, sans
m'arreter, trois jours et trois nuits. Les dernieres vingt-quatre heures
je repris toute ma securite; la route etait tellement encombree de
traineaux, de kibitkas (espece de cabriolet sur patins l'hiver, sur
roues l'ete), de telegas, d'hommes a cheval, de pietons qui chantaient
a tue-tete, criaient, se saluaient, que je ne courais plus aucun danger
d'etre reconnu ni arrete. Je fis comme eux: je chantai, je
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