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criai, je saluai des inconnus. J'etais mille kilometres d'Ekaterininski-Zavod. "Le soir du troisieme jour, nous entrames dans la ville d'Irbite. "Votre passeport", me cria le factionnaire, il ajouta tres bas: "Donnez vingt kopecks et passez." "Je donnai vite les vingt kopecks et je m'arretai devant une hotellerie, ou j'eus assez de peine a me faire recevoir: tout etait plein. L'izbo etait deja encombree de yamstchiks (conducteurs de chevaux et traineaux). Je pris ma part d'un bruyant repas siberien compose d'une soupe aux raves, de poissons secs, de gruau a l'huile et de choux marines. Chacun s'etendit ensuite sur les bancs, sous les bancs, sur les fables, sur... le poele et par terre; je me couchai par terre, mais je ne pus dormir; j'avais compte ce qui me restait d'argent: je n'avais plus que soixante-quinze roubles. Avec une aussi faible somme je devais renoncer a voyager en traineau; il me fallait achever ma route a pied; j'avais des milliers de verstes a faire avant de me trouver au dela de la frontiere russe, et je devais mettre pres d'un an a les parcourir. Je ne perdis pourtant pas courage; j'invoquai Dieu et la sainte Vierge, qui me procureraient sans doute quelque travail, quelque moyen de gagner ma vie pour arriver jusqu'en France, seul pays au monde qui ait ete compatissant et genereux pour les pauvres Polonais. Le lendemain je quittai de grand matin l'izba et Irbite; en sortant de la ville, le factionnaire me demanda mon passeport ou vingt kopecks; je preferai donner les vingt kopecks, et bien m'en prit, car a quelque distance de la ville je voulus jeter un coup d'oeil sur mon passeport, je ne le trouvai pas; j'eus beau chercher, fouiller de tous cotes, je ne pus le retrouver; il ne me restait qu'une passe de forcat pour circuler dans les environs d'Ekaterininski-Zavod; je l'avais sans doute perdu dans un traineau ou dans la ville, a la couchee. Un tremblement nerveux me saisit. Sans passeport je ne pouvais m'arreter dans aucune ville, aucun village; je me trouvais condamne a passer mes nuits dans les forets ou dans les plaines immenses nommees steppes; cet hiver de 1856 etait un des plus rigoureux qu'on eut vus depuis plusieurs annees; la neige tombait en abondance; je me trouvais sans cesse couvert d'une couche de neige, que je secouais. Elle tombait si serree, qu'elle effacait les traces des routes praticables; heureusement que les voyageurs siberiens ont l'habitude de planter dans la neige de longu
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