te mon ami, mon ancien aide de camp en Circassie, mon sauveur dans
un rude combat, le prince Romane Pajarski, echappe de Siberie ou il
travaillait aux mines depuis deux ans, accuse d'avoir conspire pour la
Pologne contre la Russie."
Natasha sauta de dessus sa banquette, fixa des yeux etonnes sur le
prince Pajarski, qui les voyait se remplir de larmes; puis elle se
detourna, cacha son visage dans ses mains et eclata en sanglots.
."Natasha, mon enfant, dit la mere en l'attirant dans ses bras,
calme-toi; pourquoi ces larmes, ces sanglots?"
Natasha: "Oh! maman, maman! Ce pauvre homme! Ce pauvre prince! Comme
il a souffert! C'est horrible! horrible! Et moi qui le traitais si
familierement! J'ai du le faire souffrir bien des fois!"
Romane: "Vous, chere enfant: Vous avez ete ma principale joie, ma plus
grande consolation.
--Vraiment? dit Natasha en relevant la tete et en le regardant d'un air
joyeux. Je vous remercie de me le dire, et je suis bien contente d'avoir
un peu adouci votre position."
Et ses larmes recommencerent a couler.
Le general: "Ne pleure plus, ma Natasha. Le voila heureux, tu vois bien;
et nous aussi, nous sommes tous libres et heureux."
Apres quelque temps donne aux emotions de ce grand evenement, chacun
reprit son calme, et Natasha demanda au prince Romane des details sur
son arrestation, sa condamnation, ses souffrances en Siberie et sa
fuite.
Pendant que ces evenements s'expliquent, nous retournerons a Gromiline,
et nous ferons une visite a Mme Papofski.
XV
LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT
Apres le depart de son oncle, Mme Papofski se sentit saisie d'une joie
folle.
"Ils sont bien reellement partis! se disait-elle. Je reste souveraine
maitresse de Gromiline et de toutes les terres de mon oncle. Je tirerai
le plus d'argent possible de ces miserables paysans, paresseux et
ivrognes, et de ces coquins d'intendants, voleurs et menteurs. J'ai
soixante mille roubles de revenu a moi; mais six cent mille! Voila une
fortune qui m'aidera a augmenter la mienne! D'abord j'enverrai le moins
d'argent possible a mon oncle, s'il m'en demande... peut-etre pas du
tout, puisqu'il m'a dit qu'il avait garde les capitaux pour ses favoris
Dabrovine et Derigny. Je ferai fouetter tous les paysans pour leur faire
augmenter leur abrock [5] de dix roubles a cent roubles. Je vendrai tous
les dvarovoi [6] les hommes, les femmes, les enfants; mon oncle en a des
quantites; je les vendrai tous, excepte peut-et
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