t la physionomie triste mais ouverte de cette
femme; elle le regarda a peine, et ne parut faire aucune attention a lui
pendant les allees et venues que necessitaient les preparatifs du repas
et des chambres a coucher.
Mme Dabrovine, Natasha et Mme Derigny s'occuperent de la distribution
des chambres; elles soignerent particulierement celle du general. On
dina assez tristement; chacun avait son sujet de preoccupation, et la
gravite des parents rendit les enfants serieux.
La nuit fut mauvaise pour tous; les souvenirs penibles, les inquietudes
de l'avenir, les lits durs et incommodes, l'abondance des tarakanes,
affreux insectes qui remplissent les fentes des murs en bois dans les
maisons mal tenues, tous ces inconvenients reunis tinrent eveilles les
voyageurs, sauf les enfants, qui dormirent a peu pres bien.
XIV
ON PASSE LA FRONTIERE
Le jour vint, il fallut se lever. Chacun etait plus ou moins fatigue
de sa nuit, excepte les enfants, qui dorment toujours bien partout, et
Natasha, qui, sous ce rapport, malgre ses seize ans, faisait encore
partie de l'enfance. Les toilettes furent bientot faites, on se reunit
pour dejeuner; Derigny avait prepare the et cafe selon le gout de
chacun.
Le general etait sombre; il avait embrasse nieces et neveux, et serre la
main a son ami Romane, mais il n'avait pas parle et il gardait encore un
silence absolu.
"Grand-pere...", dit Natasha en souriant.
Le general parut surpris et touche.
"Grand-pere voulez-vous venir avec nous a la place de Mme Derigny, dans
la seconde voiture?
--Comment veux-tu que je tienne, en sixieme?" dit le general, se
deridant tout a fait.
Natasha: "Oh! J'arrangerais cela, grand-pere. Je vous mettrais au fond,
moi pres de vous."
Le general: "Et puis? Que ferais-tu des quatre gamins?"
Natasha: "Tous en face de nous, grand-pere. Ce serait tres amusant; nous
verrions tout ce qu'ils feraient, et nous ririons comme hier, et nous
vous ferions chanter avec nous: c'est ca qui serait amusant!"
Le general se trouva completement vaincu; il partit d'un eclat de rire,
toute la table fit comme lui; le general prenant une lecon et chantant
parut a tous une idee si extravagante, que le dejeuner fut interrompu
et qu'on fut assez longtemps avant de pouvoir arreter les elans d'une
gaiete folle, Natasha etait tombee sur l'epaule de sa mere; Alexandre se
trouvait appuye sur Natasha, et Michel avait la tete sur les reins
de son frere. Mme Dabrovine soutenait
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