et a esperer."
Romane ecoutait Mme Dabrovine avec respect, admiration et bonheur. "Et
vos enfants! dit-il apres quelque hesitation."
Madame Dabrovine: "Tous comme moi, mon cher monsieur, et tous desirant
ardemment pouvoir pratiquer leur religion, seule proscrite et maudite en
Russie, parce qu'elle est seule vraie."
Romane lui baisa respectueusement la main.
Romane: "Mon cher comte, il serait bon de hater le depart. Avez-vous
fixe un terme?"
Le general: "J'ai demande au general Negrinski, qui a achete Gromiline,
d'attendre au 1er juin pour prendre possession."
Romane: "Encore six semaines! C'est trop, mon ami; ne pourriez-vous
lui ecrire de venir prendre possession en personne le 15 mai?"
Le general: "Tres bien! Je vais ecrire tout de suite, tu donneras ma
lettre a Derigny, qui la portera lui-meme a Smolensk, a la poste."
Le general se mit a table; dix minutes apres, Romane remettait la lettre
a Derigny en lui expliquant son importance et pourquoi le depart etait
avance. Derigny ne perdit pas de temps.
Mme Dabrovine convint avec son oncle qu'elle se plaindrait vivement de
souffrances nouvelles; que le general proposerait de hater le depart
pour aller attendre la saison des eaux dans un climat plus doux, et
qu'on le fixerait au 1er juin devant Mme Papofski, mais en realite au
1er mai, dans quinze jours.
"Negrinski arrivera le 15; nous serons deja loin, en chemin de fer et en
pays etranger; elle aura dix jours de gloire et de triomphe!"
Madame Dabrovine: "Mais, mon pere, ne craignez-vous pas que pendant ces
dix jours, elle n'exerce des cruautes contre vos gens et contre les
pauvres paysans?"
Le general: "Non, ma fille, parce que je ferai, avant de partir, un acte
par lequel je donnerai la liberte a tous mes dvarovoi [3] et par lequel
je declarerai que si elle fait fouetter ou tourmenter un seul individu,
elle perdra tous ses droits et devra quitter mes terres dans les
vingt-quatre heures."
[Note 3: Domestiques attaches au service particulier des maitres.]
Madame Dabrovine: "Je reconnais la votre bonte et votre prevoyance, mon
pere."
Le jour meme, a diner, Mme Dabrovine se plaignit tant de la tete, de la
poitrine, de l'estomac, que le general parut inquiet. Il la pressa de
manger; mais Mme Dabrovine, qui avait tres bien dine chez les Derigny,
par les ordres de son oncle, avant de se mettre a table, assura qu'elle
n'avait pas faim, et ne voulut toucher a rien.
Natasha etait dans le secret
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