du depart precipite, sans pourtant en
savoir la cause; elle montra une insensibilite qui ravit Mme Papofski.
"Elle se perdra dans l'esprit de mon oncle: il est clair qu'elle n'aime
pas du tout sa mere", se disait-elle.
Le general feignit de l'inquietude, et ne pouvait dissimuler aux yeux
mechants et ruses de Mme Papofski.
"Il ne s'emeut pas de la voir souffrir; il ne l'aime pas du tout",
pensa-t-elle.
Et son visage rayonnait; sa bonne humeur eclatait en depit de ses
efforts.
Le lendemain, meme scene; Mme Dabrovine quitte la table et va s'etendre
sur un canape dans le salon; le general, quand il reste seul avec Mme
Papofski, se plaint de l'ennui que lui donne la sante de sa niece
Dabrovine, et demande conseil a Mme Papofski sur le regime a lui faire
suivre.
Madame Papofski: "Je crois, mon oncle, que ce que vous pourriez faire de
mieux, ce serait de lui faire respirer un air plus doux, plus chaud."
Le general: "C'est possible... Oui, je crois que vous avez raison. Je
pourrais la faire partir plus tot avec les Derigny, et moi je ne les
rejoindrais qu'en juillet ou en aout aux eaux."
Mme Papofski fremit. Son regne sera retarde de deux mois au moins.
Madame Papofski: "Il me semble, mon oncle, que dans son etat de
souffrance vous separer d'elle serait lui donner un coup fatal. Elle
vous aime tellement que la pensee de vous quitter..."
Le general: "Vous croyez? Pourquoi m'aimerait-elle autant?" Madame
Papofski: "Ah! mon oncle! tous ceux qui vous connaissent vous aiment
ainsi."
Le general: "Comment! tous ceux que je quitte meurent de chagrin? C'est
effrayant, en verite. Mais... alors... vous aussi vous mourrez de
chagrin; et vos huit enfants avec vous! Ce qui fait neuf personnes!...
Voyons..., eux n'en font cinq; c'est quatre de moins que j'aurai sur la
conscience... Alors... decidement Je reste avec vous."
Madame Papofski: "Mais non, mon oncle, ils seront neuf comme chez moi,
en comptant les Derigny!"
Le general: "C'est vrai! Mais... la qualite?"
Madame Papofski: "Ah! mon oncle, je ne vaux pas ma soeur; et mes enfants
ne peuvent se comparer aux siens, si bons, si gentils! Natasha est si
charmante! Et puis M. Jackson! quel homme admirable! Comme il parle.
bien francais! On ne le croirait jamais Anglais..."
Mme Papofski regarda fixement son oncle, qui rougissait legerement.
Elle s'enhardit a sonder le mystere, et ajouta:
"Plutot Francais... (le general ne bougea pas), ou... meme... Polonais.
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