quand il le jugeait utile, et se preoccupait beaucoup moins de ma
curiosite que de faire un resume complet pour lui-meme d'un
evenement capital qui l'interessait.
Enfin, par petites phrases rapides, il m'apprit des choses qui me
plongerent dans un etat voisin de l'abrutissement, car, en verite,
les phenomenes de cette science encore inconnue qu'est
l'hypnotisme, par exemple, ne sont point plus inexplicables que
_cette disparition de la matiere de l'assassin au moment ou ils
etaient quatre a la toucher. _Je parle de l'hypnotisme comme je
parlerais de l'electricite dont nous ignorons la nature, et dont
nous connaissons si peu les lois, parce que, dans le moment,
l'affaire me parut ne pouvoir s'expliquer que par de
l'inexplicable, c'est-a-dire par un evenement en dehors des lois
naturelles connues. Et cependant, si j'avais eu la cervelle de
Rouletabille, j'aurais eu, comme lui, "le pressentiment de
l'explication naturelle": car le plus curieux dans tous les
mysteres du Glandier a bien ete "la facon naturelledont
Rouletabille les expliqua"._ _Mais qui donc eut pu et pourrait
encore se vanter d'avoir la cervelle de Rouletabille? Les bosses
originales et inharmoniques de son front, je ne les ai jamais
rencontrees sur aucun autre front, si ce n'est -- mais bien moins
apparentes -- sur le front de Frederic Larsan, et encore fallait-
il bien regarder le front du celebre policier pour en deviner le
dessin, tandis que les bosses de Rouletabille sautaient -- si
j'ose me servir de cette expression un peu forte -- sautaient aux
yeux.
J'ai, parmi les papiers qui me furent remis par le jeune homme
apres l'affaire, un carnet ou j'ai trouve un compte rendu complet
du "phenomene de la disparition de la matiere de l'assassin", et
des reflexions qu'il inspira a mon ami. Il est preferable, je
crois, de vous soumettre ce compte rendu que de continuer a
reproduire ma conversation avec Rouletabille, car j'aurais peur,
dans une pareille histoire, d'ajouter un mot qui ne fut point
l'expression de la plus stricte verite.
XV
Traquenard
_Extrait du carnet de Joseph Rouletabille_.
La nuit derniere, nuit du 29 au 30 octobre, ecrit Joseph
Rouletabille, je me reveille vers une heure du matin. Insomnie ou
bruit du dehors? Le cri de la "Bete du Bon Dieu" retentit avec une
resonance sinistre, au fond du parc. Je me leve; j'ouvre ma
fenetre. Vent froid et pluie; tenebres opaques, silence. Je
referme ma fenetre. La nuit est encore dechi
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