eries a peine deux secondes avant nous et la rencontre que
j'avais decidee, le choc fatal qui devait inevitablement se
produire, eut lieu! Nous nous heurtames tous a ce carrefour: M.
Stangerson et moi venant d'un bout de la galerie droite, le pere
Jacques venant de l'autre bout de cette meme galerie et Frederic
Larsan venant de la galerie tournante. Nous nous heurtames jusqu'a
tomber...
"Mais l'homme n'etait pas la!"
Nous nous regardions avec des yeux stupides, des yeux d'epouvante,
devant cet "irreel": "l'homme n'etait pas la!"
Ou est-il? Ou est-il? Ou est-il? ... Tout notre etre demandait:
"Ou est-il?"
"Il est impossible qu'il se soit enfui! m'ecriai-je dans une
colere plus grande que mon epouvante!
-- Je le touchais, s'exclama Frederic Larsan.
-- Il etait la, j'ai senti son souffle dans la figure! faisait le
pere Jacques.
-- Nous le touchions!" repetames-nous, M. Stangerson et moi.
Ou est-il? Ou est-il? Ou est-il? ...
Nous courumes comme des fous dans les deux galeries; nous
visitames portes et fenetres; elles etaient closes, hermetiquement
closes... On n'avait pas pu les ouvrir, puisque nous les trouvions
fermees... Et puis, est-ce que cette ouverture d'une porte ou
d'une fenetre par cet homme, ainsi traque, sans que nous ayons pu
apercevoir son geste, n'eut pas ete plus inexplicable encore que
la disparition de l'homme lui-meme?
Ou est-il? Ou est-il? ... Il n'a pu passer par une porte, ni par
une fenetre, ni par rien. Il n'a pu passer a travers nos corps!
...
J'avoue que, dans le moment, je fus aneanti. Car, enfin, il
faisait clair dans la galerie, et dans cette galerie il n'y avait
ni trappe, ni porte secrete dans les murs, ni rien ou l'on put se
cacher. Nous remuames les fauteuils et soulevames les tableaux.
Rien! Rien! Nous aurions regarde dans une potiche, s'il y avait eu
une potiche!
XVII
La galerie inexplicable
Mlle Mathilde Stangerson apparut sur le seuil de son antichambre,
continue toujours le carnet de Rouletabille. Nous etions presque a
sa porte, dans cette galerie ou venait de se passer l'incroyable
phenomene. Il y a des moments ou l'on sent sa cervelle fuir de
toutes parts. Une balle dans la tete, un crane qui eclate, le
siege de la logique assassine, la raison en morceaux... tout cela
etait sans doute comparable a la sensation, qui m'epuisait, "qui
me vidait", du desequilibre de tout, de la fin de mon moi pensant,
pensant avec ma pensee d'homme! La ruine morale
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