t heureux: cet endroit n'avait rien qui put encore
nous retenir. Je declarai que je renoncais a percer tant de
mysteres, et Rouletabille, en me donnant une tape amicale sur
l'epaule, me confia qu'il n'avait plus rien a apprendre au
Glandier, parce que le Glandier lui avait tout appris. Nous
arrivames a Paris vers huit heures. Nous dinames rapidement, puis,
fatigues, nous nous separames en nous donnant rendez-vous le
lendemain matin chez moi.
A l'heure dite, Rouletabille entrait dans ma chambre. Il etait
vetu d'un complet a carreaux en drap anglais, avait un ulster sur
le bras, une casquette sur la tete et un sac a la main. Il
m'apprit qu'il partait en voyage.
"Combien de temps serez-vous parti? lui demandai-je.
-- Un mois ou deux, fit-il, cela depend..."
Je n'osai l'interroger...
"Savez-vous, me dit-il, quel est le mot que Mlle Stangerson a
prononce hier avant de s'evanouir... en regardant M. Robert
Darzac? ...
-- Non, personne ne l'a entendu...
-- Si! repliqua Rouletabille, moi! Elle lui disait: "parle!"
-- Et M. Darzac parlera?
-- Jamais!"
J'aurais voulu prolonger l'entretien, mais il me serra fortement
la main et me souhaita une bonne sante, je n'eus que le temps de
lui demander:
"Vous ne craignez point que, pendant votre absence, il se commette
de nouveaux attentats? ...
-- Je ne crains plus rien de ce genre, dit-il, depuis que M.
Darzac est en prison."
Sur cette parole bizarre, il me quitta. Je ne devais plus le
revoir qu'en cour d'assises, au moment du proces Darzac, lorsqu'il
vint a la barre "expliquer l'inexplicable".
XXVI
Ou Joseph Rouletabille est impatiemment attendu
Le 15 janvier suivant, c'est-a-dire deux mois et demi apres les
tragiques evenements que je viens de rapporter, _L'Epoque_
publiait, en premiere colonne, premiere page, le sensationnel
article suivant:
"Le jury de Seine-et-Oise est appele aujourd'hui, a juger l'une
des plus mysterieuses affaires qui soient dans les annales
judiciaires. Jamais proces n'aura presente tant de points obscurs,
incomprehensibles, inexplicables. Et cependant l'accusation n'a
point hesite a faire asseoir sur le banc des assises un homme
respecte, estime, aime de tous ceux qui le connaissent, un jeune
savant, espoir de la science francaise, dont toute l'existence fut
de travail et de probite. Quand Paris apprit l'arrestation de M.
Robert Darzac, un cri unanime de protestation s'eleva de toutes
parts. La Sorbonne tout entiere
|