ller en
mangeant.
"Mon ami, fis-je, cette affaire de Larsan est tout a fait sublime
et digne de votre cerveau heroique."
Ici il m'arreta, m'invitant a parler plus simplement et pretendant
qu'il ne se consolerait jamais de voir qu'une aussi belle
intelligence que la mienne etait prete a tomber dans le gouffre
hideux de la stupidite, et cela simplement a cause de l'admiration
que j'avais pour lui...
"Je viens au fait, fis-je, un peu vexe. Tout ce qui vient de se
passer ne m'apprend point du tout ce que vous etes alle faire en
Amerique. Si je vous ai bien compris: quand vous etes parti la
derniere fois du Glandier, vous aviez tout devine de Frederic
Larsan? ... Vous saviez que Larsan etait l'assassin et vous
n'ignoriez plus rien de la facon dont il avait tente d'assassiner?
-- Parfaitement. Et vous, fit-il, en detournant la conversation,
vous ne vous doutiez de rien?
-- De rien!
-- C'est incroyable.
-- Mais, mon ami... vous avez eu bien soin de me dissimuler votre
pensee et je ne vois point comment je l'aurais penetree... Quand
je suis arrive au Glandier avec les revolvers, "a ce moment
precis", vous soupconniez deja Larsan?
-- Oui! Je venais de tenir le raisonnement de la "galerie
inexplicable!" mais le retour de Larsan dans la chambre de Mlle
Stangerson ne m'avait pas encore ete explique par la decouverte du
binocle de presbyte... Enfin, mon soupcon n'etait que
mathematique, et l'idee de Larsan assassin m'apparaissait si
formidable que j'etais resolu a attendre des "traces sensibles"
avant d'oser m'y arreter davantage. Tout de meme cette idee me
tracassait, et j'avais parfois une facon de vous parler du
policier qui eut du vous mettre en eveil. D'abord je ne mettais
plus du tout en avant "sa bonne foi" et je ne vous disais plus
"qu'il se trompait". Je vous entretenais de son systeme comme d'un
miserable systeme, et le mepris que j'en marquais, qui s'adressait
dans votre esprit au policier, s'adressait en realite, dans le
mien, moins au policier qu'au bandit que je le soupconnais
d'etre!... Rappelez-vous... quand je vous enumerais toutes les
preuves qui s'accumulaient contre M. Darzac, je vous disais: "Tout
cela semble donner quelque corps a l'hypothese du grand Fred.
C'est, du reste, cette hypothese, que je crois fausse, qui
l'egarera..." et j'ajoutais sur un ton qui eut du vous stupefier:
"Maintenant, cette hypothese egare-t-elle reellement Frederic
Larsan? Voila! Voila! Voila! ..."
Ces "voila!"
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