deux noms des _divisants_ et surtout des deux differences specifiques
d'un meme genre. Dans l'exemple, la _raison_ est une des differences
specifiques; nous serions embarrasses pour nommer l'autre en francais.
Le latin assez barbare des scolastiques dit _rationale, irrationale_; le
substantif abstrait repondant a _irrationale_ ce serait la _non-raison_.
Il serait facile de trouver des exemples pour lesquels la langue nous
ferait encore plus defaut; mais si la division du genre en deux especes
prochaines est toujours possible, sans toujours etre exprimable, il suit
que les especes existent independamment d'un nom qui les designe. Elles
existent sans les mots qui les nomment. Que devient alors la doctrine
qui veut que les especes ne soient que des mots? Voila l'argument
qu'Abelard dirige en passant contre Roscelin.
[Note 518: _De Div._, p. 643.]
Les modernes repondraient que les especes peuvent exister dans l'esprit
sans etre nommees, que toutes les idees n'ont pas necessairement leurs
noms, et qu'ainsi le principe de Boece peut etre vrai comme principe
ideologique, sans qu'il en resulte aucun prejuge en faveur de la realite
objective des especes. Que dit en effet le nominalisme raisonnable? Les
individus seuls sont reels. Ces individus semblables ou dissemblables,
separes ou rapproches par des differences ou ressemblances essentielles
ou accidentelles, sont compares et classes par l'intelligence, en
sorte que les genres et les especes sont des vues de l'esprit fondees
seulement sur les differences et les ressemblances des individus,
seules realites. Toute classe, genre ou espece, se resout reellement en
individus. Il n'y a point de realite autre qui corresponde au nom ou a
l'idee de la classe; il n'y a point _l'homme, l'animal_; il y a _des
animaux, des hommes_. Les genres et les especes ne sont donc que des
idees, et comme les idees en general ne se constatent et ne se fixent
que par leurs signes, comme la langue s'unit indissolublement a
l'intelligence, on peut regarder les especes comme des noms, ne
correspondant a aucune realite substantielle qui soit l'espece, si elle
n'est la reunion des individus; et en ce sens on peut aller jusqu'a dire
que les especes ne sont que des noms. Tel est le nominalisme soutenable,
ou le conceptualisme eclaire.
A ce compte, le principe de Boece pourrait rester vrai, tout genre se
diviserait en deux especes, ne fussent-elles designees par aucun nom
special, sans que le realisme fu
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