ce, purement passive, faculte a la suite de la sensation et
de la memoire, se bornait a concevoir leurs objets, c'est-a-dire a la
simple representation. Il ne lui restait en propre que je ne sais quelle
activite vaine qui se produisait dans le langage, lequel debordait
necessairement la realite et la pensee. Les langues etaient pleines de
fictions gratuites. On voit comment le nominalisme se ramenait a un
etroit sensualisme.
Abelard, quoiqu'il fut de l'ecole d'Aristote, et qu'il adoptat par
consequent quelques-uns des principes du sensualisme, entendait les
choses plus largement, et s'il ne s'affranchissait pas de quelques-unes
des consequences de ces principes avec la meme hardiesse que son maitre,
cependant il ne peut etre confondu avec les sectateurs de cette etroite
doctrine. Il disait bien que toute connaissance _surgit des sens_[573].
Il admettait bien qu'il n'y a dans la nature que des choses determinees,
que les realites sont toutes individuelles; il croyait donc que
les genres et les especes ne sont pas reels en eux-memes. Mais si
l'intelligence est instruite, excitee par les sens, si les sensations
suscitent des concepts[574], cependant l'intelligence est distincte
des sens; elle en est profondement differente; elle l'est meme de
l'imagination, qui n'est que la faculte de se representer les choses
sensibles. La sensation, l'imagination, tout cela n'est que perception
confuse. L'intelligence a des perceptions plus distinctes ou plutot des
conceptions (concepts, intellects, idees), qui sont de plus en plus
independantes, de plus en plus degagees des perceptions sensibles et
imaginatives; et elle peut meme arriver tres-pres de l'etat d'une
intelligence pure, qui comprend par elle-meme et directement, a la
maniere de l'intelligence divine. Or, elle a cette puissance a deux
conditions, c'est non-seulement de changer en idees les perceptions
sensibles, mais de se faire des idees, dont l'objet n'a pas ete senti,
dont l'objet ne peut l'etre, dont l'objet meme n'existe pas. En d'autres
termes, l'intelligence a des idees sensibles ou de representation, et
des idees purement intelligibles ou intellectuelles, savoir celles
des choses invisibles, celles des choses inconnues, celles des choses
universelles, celles des choses abstraites. Ainsi, l'homme est
non-seulement en communication avec la nature physique, mais il
l'excede; il est naturellement metaphysicien; voila l'homme d'Abelard et
d'Aristote.
[Note 573: _De Int
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