rels ne soient que
des concepts intellectuels, mais qu'il en soit, de meme des objets
corporels que l'intelligence concoit sans les avoir presents par les
sens. Si Aristote a dit que nos conceptions n'ont jamais lieu sans
imagination[560], cela signifie, selon lui, que lorsque nous tachons
d'atteindre et de juger la nature ou la propriete d'une chose par la
seule intelligence, l'habitude du sens, d'ou nait toute connaissance
humaine, _sensus consuetudo a quo omnis humana surgit notitia_, suggere
a l'esprit par l'imagination de certaines choses auxquelles nous
n'entendons nullement penser. Voulons-nous, par exemple, ne concevoir
dans l'homme que ce qui appartient a la nature de l'humanite,
c'est-a-dire le concevoir comme _animal rationnel mortel_; beaucoup de
choses que nous avons eu l'intention d'ecarter se presentent a l'ame
malgre elle par l'effet de l'imagination, comme la couleur, la longueur,
la disposition des membres, et les autres formes accidentelles du corps;
en sorte que par un effet singulier, _quod mirabile est_, lorsque je
cherche a penser a quelque chose d'incorporel, l'habitude de sentir
me force a l'imaginer corporel; ce que je concois comme incolore, je
l'imagine necessairement colore. C'est que les sens sont en nous ce qui
s'eveille d'abord; leurs operations se renouvellent sans cesse;
ensuite l'esprit s'eleve a l'imagination, puis a la conception de
l'intelligence.
[Note 559: _De Consolat. phil._, V, p. 944.]
[Note 560: Aristote dit cela dans le Traite de l'ame et dans celui
de la Memoire. (_De Anim._, III, VIII.--_De Mem. et Remin._, I.) Abelard
ne les connaissait pas; mais Boece cite textuellement un passage du _de
Anima_, et c'est la qu'Abelard s'est instruit. (Boeth., _De Interp._,
ed. sec., p. 298.)]
Toutefois, Boece dit "qu'il est une intelligence qui appartient a bien
peu d'hommes, et a Dieu seul, laquelle depasse tellement et le sens et
l'imagination qu'elle agit sans l'un et sans l'autre[561]; par elle,
rien ne s'offre a l'esprit que ce qui se pense et se comprend; pour
elle, point de perception confuse. Evidemment Dieu ne saurait avoir ni
sens ni imagination; son intelligence atteint et contient tout; car
comprendre, c'est savoir. Cette intelligence-la que Boece accorde a
un petit nombre d'hommes, croyons, avec Aristote, qu'elle ne peut se
rencontrer dans cette vie, si ce n'est chez l'homme que l'exces de la
contemplation eleve a la revelation divine. Et cet essor de l'ame, il
faut l
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