en maitre, et les
soins complaisants et laborieux d'un amour qui se cache et qui supplie
allaient mal a sa nature. Cependant, au milieu de cette felicite sans
obstacle, une sorte de mollesse interieure s'emparait de lui, la
severite l'abandonna. On a meme pretendu qu'il se livra a des plaisirs
qui compromirent sa dignite et jusqu'a sa fortune[55], mais il le nie
hautement; d'ailleurs de vaines voluptes ne pouvaient suffire a son ame,
et il se demandait encore d'ou lui viendrait l'emotion.
[Note 54: "Ab excessu (_lisez_ accessu) et frequentatione nobilium
foeminarum studii scholaris assiduitate revocabar, nec laicarum
conversationem multum noveram." (Ep. I, p. 10.)]
[Note 55: Foulque lui rappelle dans une lettre, d'ailleurs amicale,
qu'il s'etait ruine avec des courtisanes. Comme la lettre est, selon
l'usage du temps, une oeuvre de rhetorique, on y peut soupconner un peu
d'hyperbole; mais il est difficile que le fond soit sans aucune verite.
Reste a savoir a quelle epoque de la vie d'Abelard il faut placer ses
desordres; est-ce avant qu'il connut Heloise? est-ce a la suite de son
amour? Que ceux qui se piquent de connaitre le coeur humain en decident.
On lit dans une piece de vers qu'il fit pour son fils:
Gratior est humilis meretrix quam casta superba,
Perturbatque domum saepius ista suum.
........................................
Deterior longe linguosa est foemina scorta (_lisez_ scorto);
Hoc aliquis, nullis illa placere potest.
(_Ab. Op._, part. II, ep. I, p. 219.--Cousin, _Frag. phil._, t. III,
app., p. 444.)]
Il y avait dans la Cite une tres-jeune fille (elle etait nee, dit-on, a
Paris, en 1101), nommee Heloise, et niece d'un chanoine de Notre-Dame,
appele Fulbert[56].
[Note 56: Heloise, Helwide, Helvilde, Helwisa ou Louise; Abelard
veut que ce nom vienne de l'hebreu _Heloim_, un des noms du Seigneur.
Il regne beaucoup d'obscurite sur l'origine, la patrie, la famille
d'Heloise. Il n'y a nulle raison de supposer qu'elle fut la fille
naturelle de Fulbert, encore moins, comme le dit Papire Masson, d'un
autre chanoine de Paris nomme Jean, ou, selon Mme Guizot, Ycon.
D'Amboise, Duchesne, Gervaise, et en general les biographes veulent
qu'elle ait vecu autant de temps qu'Abelard, ce qui, je le remarque
apres les auteurs de l'_Histoire litteraire_, ne porte sur aucune
preuve, mais ce qui la ferait naitre vers 1101. (Cf. _Ab. Op._, part.
I, ep. i et v, p. 10 et 72; pref. apol.; Not., p. 1140.--Pap.
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