des
paroles intimes remplacaient les communications de la science. Les yeux
des deux amants se detournaient du livre pour se rencontrer et pour se
fuir. Bientot la main qui devait tourner les pages, ecarta les voiles
dont Heloise s'enveloppait, et ce ne fut plus des paroles, mais des
soupirs qu'on put entendre. Enfin la passion triomphante emporta les
deux amants jusqu'aux limites de son empire. Tout fut sacrifie a ce
bonheur sans melange et sans frein. Tous les degres de l'amour furent
franchis. Que sais-je? jusqu'aux droits de l'enseignement, jusqu'aux
punitions du maitre, devinrent, c'est Abelard qui l'avoue, des jeux
passionnes _dont la douceur surpassait la suavite de tous les parfums_.
Tout ce que l'amour peut rever, tout ce que l'imagination de deux
esprits puissants peut ajouter a ses transports, fut realise dans
l'ivresse et dans la nouveaute d'un bonheur inconnu[68].
[Note 68: Les passages dont je rends ici la pensee, ont ete cites
partout. Je n'en rapporte que deux comme pieces il l'appui: "Quoque
minus suspicionis habermus, verbera quandoque dabat amor.... quae
omnium unguentorum suavitatem transcenderent.... si quid insolilum amer
excogitare potuit, est additum."--(_Ab. Op._, ep. I, p. 11.)]
Mais cependant, qu'etait devenu l'enseignement des ecoles? le maitre
Pierre ennuye, degoute, n'y paraissait plus qu'a regret. A peine lui
restait-il quelques heures de jour pour les donner a l'etude. Quant a
ses lecons, il les faisait avec negligence et froideur; il repetait
d'anciennes idees, et ne parlait plus d'inspiration. Devenu un simple
recitateur, il n'inventait plus rien, ou s'il inventait quelque chose,
c'etaient des vers et des vers d'amour. Il parait qu'il en composa
beaucoup en langue vulgaire, ou, comme on disait alors, barbare[69]; ces
chansons etaient vraisemblablement dans le gout des trouveres, dont il
fut un des premiers en date, ou, si l'on veut, le predecesseur. A tous
ses talents, a toutes les initiatives de son esprit, il faudrait donc
ajouter celle de la poesie nationale. Chose plus singuliere! il laissait
ses chansons d'amour se repandre au dehors et courir la ville et le
pays; longtemps apres cette epoque, elles se retrouvaient encore dans
la bouche de ceux dont la situation ressemblait a la sienne[70]. Car il
devint de bonne heure le patron des amoureux, et il avait "du talent
pour les vaudevilles," dit un benedictin qui a ecrit sa biographie[71].
Ainsi l'aventure qui aurait du rester le t
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