e lui, et pour apaiser Fulbert,
pour le satisfaire au dela de toute esperance, il offrit le mariage,
pourvu que le mariage restat secret; car il apprehendait que cela ne
nuisit a sa reputation aussi bien qu'aux chances de son ambition dans
l'eglise. Fulbert consentit. La reconciliation fut scellee par un
echange de parole et par les embrassements de l'oncle et des siens. Tout
cela peut-etre cachait de leur part un projet de trahison. Il semble
que Fulbert n'ait jamais renonce a la pensee de quelque noire vengeance
concue des le premier jour.
Abelard retourna en Bretagne pour y chercher celle qui allait devenir sa
femme. Mais elle n'approuva pas son projet, et elle entreprit de l'en
dissuader. Cette fille heroique ne songeait, disait-elle, qu'au peril
et a l'honneur de son amant. Elle ne croyait pas qu'aucune satisfaction
desarmat son oncle; elle le connaissait et pressentait les sombres
desseins de cette ame ulceree. Puis, elle demandait quelle gloire il
y aurait pour elle a ternir la gloire d'Abelard par un hymen qui les
humilierait tous deux[76]. Que ne lui ferait pas le monde, auquel elle
allait enlever sa lumiere? De quelles maledictions de l'Eglise, de quels
regrets des philosophes ce mariage serait suivi! quelle honte et quelle
calamite qu'un homme cree pour tous se consacrat a une seule femme! Elle
le detestait, s'ecriait-elle avec vehemence, ce mariage qui serait un
opprobre et une ruine.
[Note 76: Le discours etrange et pressant par lequel Heloise tenta
de detourner Abelard du mariage a ete remarque et meme admire de
tout temps. Plusieurs auteurs le citent; nous ne rappellerons qu'un
temoignage peu serieux, mais qui n'en est pas moins frappant. Dans le
_Roman de la Rose_, l'un des auteurs, Jehan de Meung, qui avait, il est
vrai, _translate en franchois la Vie et les Epistres de maistre Pierre
Abayalard et Heloys sa femme_, voulant faire le proces du mariage,
s'exprime ainsi:
Pierres Abaillart reconfesse
Que suer Helois, l'abeesse
Du Paraclet, qui fu s'amie,
Accorder ne se voloit mie,
Por riens qu'il la preist a fame:
Ains il faisoit la genne dame
Bien entendant et bien lettree.
Et bien amant, et bien amee,
Argumens a il chastier
Qu'il se gardast de marier.
Et il continue en rimant toutes les raisons d'Heloise et meme quelque
chose de l'aventure qui suivit. (Edit. de M. Meon, t. II, p. 213.--_Les
Manuscrits de la Bibliotheque du Roi_, par M. Paulin Paris, t. V, no.
7071, p. 39.)
|