nouvelle," reprit sur-le-champ Abelard;
"mais vous demandiez un texte, et non pas le sens. Si vous voulez le
sens et la raison, je suis pret a vous montrer qu'avec l'autre opinion,
vous tombez dans l'heresie qui veut que le Pere soit son propre fils."
A ces mots, Alberic en colere repondit par des menaces, et lui dit que,
dans cette affaire, ni les autorites ni les raisons ne seraient pour
lui, et il s'eloigna.
Abelard qui raconte cette anecdote n'ajoute pas que, dans le passage
en question, c'etait precisement une opinion d'Alberic lui-meme qu'il
attaquait en passant, l'attribuant, sans prononcer aucun nom, a
un maitre en theologie _qui occupait en France une chaire de
pestilence_[116]. Alberic qui s'etait reconnu, sans en convenir, avait
du naturellement trouver dans cet endroit la plus grosse heresie du
livre.
[Note 116: "Magistros divinorum librorum qui nunc maxime circa nos
pestilentae cathedras tenent.... quorum unus in Francia." (_Ab. Op.,
loc. cit_.) Je suis ici l'opinion de Mabillon. (Saint Bern., ep. XIII,
in not.)]
Le dernier jour du concile arriva, et avant la seance, le legat mit en
deliberation avec l'archeveque et quelques-uns des meneurs ce qu'on
devait faire de l'accuse et de son livre. Ils avaient l'un et l'autre
sous la main, ils etaient la pour les juger, et ils paraissaient n'avoir
rien a dire. Evidemment, on reculait devant une discussion publique,
et soit faiblesse ou calcul, soit defiance de la cause ou crainte de
l'ascendant si connu d'Abelard, on avait ainsi tout retarde, debat et
jugement, les uns voulant echapper a la necessite d'une telle epreuve,
les autres prevoyant qu'au dernier moment tout deviendrait plus facile
et que le coup pourrait etre brusquement et silencieusement porte. Mais
Abelard avait un parti dans le clerge; les dignites ecclesiastiques
etaient deja le partage de quelques-uns de ses eleves. Dans cette
conference decisive, Geoffroi de Leves, eveque de Chartres, le premier
par sa piete et par la dignite de son siege[117], profita de l'embarras
visible des assistants pour les exhorter a la moderation. Il rappela
d'abord la situation d'Abelard, la superiorite de ses talents, ses
succes dans tous les enseignements, le nombre de ses sectateurs,
l'etendue de son influence, _de cette vigne qui projetait ses pampres
jusqu'a la mer_. Il ajouta que si l'on voulait le condamner par une
decision en quelque sorte prejudicielle et le frapper sans debat, il
etait a craindre qu'en i
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