ui fit un crime de ce nom du Saint-Esprit
grave au fronton du temple qu'il avait eleve. C'etait en effet une
consecration a peu pres sans exemple, la coutume etant de vouer les
eglises a la Trinite entiere ou au Fils seul entre les personnes
divines. On voulut voir dans ce choix inusite une arriere-pensee, et
l'aveu detourne d'une doctrine particuliere sur la Trinite. Il est
cependant difficile de comprendre comment, lorsque de certaines prieres
sont adressees au Saint-Esprit, lorsqu'une fete solennelle, celle de
la Pentecote, lui est specialement consacree, il serait coupable ou
inconvenant de lui dedier un temple, qui sous tous les noms, meme sous
celui de la Vierge ou des saints, doit rester toujours et uniquement la
maison du Seigneur[144]. Mais c'etait une nouveaute, et elle venait d'un
homme de qui toute nouveaute etait suspecte. Avec les progres de son
etablissement, les prejuges hostiles se ranimaient contre lui. On a meme
cru qu'alors un homme qui devait jouer un grand role dans l'Eglise et
dans la vie d'Abelard, le nouvel abbe de Cluni, Pierre le Venerable,
s'etait inquiete de son salut, et par des lettres ou brillent a la
fois un esprit rare et une piete vive et tendre, s'etait efforce de le
rappeler du travail aride des sciences humaines a l'exclusive recherche
de l'eternelle beatitude[145]. Ce qui est mieux prouve, c'est que la
piete n'inspirait pas a tous alors une sollicitude aussi charitable.
[Note 144: _Ab. Op._, ep. I, p. 30, 31.]
[Note 145: Deux lettres de Pierre le Venerable sont adressees
_dilecto filio suo_ ou _praecordiali filio, magistro Petro_. Elles ont
pour but d'exhorter un homme absorbe par les sciences du siecle, les
travaux des ecoles, l'etude des opinions discordantes des philosophes, a
se faire pauvre d'esprit, a devenir le philosophe du Christ. La premiere
temoigne d'une grande piete et d'un esprit distingue. Martene veut que
ces deux lettres aient ete adressees a Abelard, et dans le temps meme
qu'il enseignait pour la premiere fois _in Trecensi cella_. Ce ne serait
pas du moins a cette epoque; car il n'avait pas comparu au concile de
Soissons en 1121, et Pierre le Venerable ne devint abbe de Cluni qu'en
1122 ou 1123. Rien d'ailleurs, hors ce nom de _magister Petrus_, ne
rappelle Abelard. Au Paraclet, on ne lui voit aucune liaison avec l'abbe
de Cluni. Duchesne, l'editeur des lettres de celui-ci, croit celles dont
il s'agit adressees a un moine de Poitiers, appele dans d'autres Pierre
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