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acharnes ou les plus rigoureux, voyant bien qu'il n'y avait rien de
fait, si l'affaire devait se traiter hors du diocese et la ou leur
credit ne s'etendait pas, persuaderent a l'archeveque qu'il serait
ignominieux pour lui que la cause fut renvoyee a un autre tribunal, et
qu'il fallait craindre que l'accuse n'echappat. On revint donc au legat,
on le pressa de changer d'avis, et on l'amena, malgre lui, a consentir
que la doctrine fut condamnee sans debat contradictoire, le livre brule
en presence de tous, et l'auteur renferme a perpetuite dans un nouveau
couvent. On lui persuada que, pour fonder la condamnation, il suffisait
que sans l'autorisation ni du souverain pontife, ni de l'Eglise,
l'ouvrage eut ete lu dans un cours public et livre par l'auteur lui-meme
a plusieurs pour le transcrire; on ajouta enfin qu'un tel exemple
servirait la religion en prevenant a l'avenir le retour de semblables
temerites. Le legat, a ce qu'il parait, etait peu instruit; il
s'appuyait beaucoup sur les conseils de l'archeveque de Reims, qui
lui-meme etait conduit par Alberic, Lotulfe et leurs amis. L'eveque de
Chartres jugea que l'on ne pourrait empecher l'execution de ce plan,
et avertissant Abelard, il l'engagea a tout supporter, et a n'opposer
qu'une douceur exemplaire a une violence qui nuirait plus a ses ennemis
qu'a lui. Quant a sa reclusion dans un monastere, il lui dit de ne
point s'en inquieter et que le legat qui dans tout cela agissait
a contre-coeur, lui ferait certainement, quelques jours apres la
dissolution du concile, rendre la liberte. Abelard pleurait en
l'ecoutant, et Geoffroi pleurait avec lui. La pensee a beau mepriser la
force; quand la force l'opprime en la faisant taire, c'est un martyre
sans consolation. La consolation ou la vengeance de la pensee, c'est la
parole.
Abelard fut appele; il parut devant le concile. On l'accusait vaguement
de l'heresie de Sabellius, c'est-a-dire d'avoir nie ou affaibli la
realite des trois personnes de la Trinite[118]. Juge sans discussion,
convaincu sans examen, on le forca de jeter de sa propre main son livre
dans les flammes. Il le regardait tristement bruler, lorsqu'au milieu du
silence apparent des juges, un des plus hostiles dit a demi-voix qu'il y
avait lu en quelque endroit que Dieu le pere etait seul tout-puissant;
ce que le legat ayant entendu, il lui dit, avec grand etonnement, qu'il
ne le pouvait croire. "Meme chez un petit enfant," ajouta-t-il, "une si
grosse erreur se
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