comme si sa volonte en eut ete la cause. Tous les progres de
l'autorite royale ont ete, au moyen age, des progres dans le sens
absolu du mot. Elle ne fut jamais grande, au reste, que lorsqu'elle fut
liberale. Suger et Garlande s'en montrerent les habiles ministres, et
il y a certainement quelque secrete liaison entre la politique qui
secondait l'affranchissement des communes et celle qui protegeait
Abelard.
Il etait libre, mais il etait pauvre. Maitre de choisir sa solitude, il
se retira sur le territoire de Troyes, aux bords de l'Ardusson, dans un
lieu desert qu'il connaissait pour y etre alle souvent lire et mediter,
ou meme enseigner quelquefois[137]. C'etait dans la paroisse de Quincey,
aupres de Nogent-sur-Seine. La, dans quelques prairies qui lui furent
donnees, il construisit avec la permission d'Atton, eveque de Troyes,
un oratoire de chaume et de roseaux qu'il dedia d'abord a la sainte
Trinite. Ce fut dans cette retraite qu'il se cacha seul avec un clerc,
et repetant ces mots du psaume: "Voila que j'ai fui au loin, et j'ai
demeure dans la solitude." (Ps. LIV, 8.)
[Note 137: "Ubi legere (_alias_ degere) solitus fuerat." Ce lieu
est le hameau du Paraclet, a l'est de Nogent-sur-Seine, a dix on douze
lieues de Troyes, sur la route de Paris. (_Gall. Christ._, t. XII, p.
609.--_Ab. Op._, ep. 1, p. 28 Not., p. 1117.--Willelm. Godel. et Guill.
Nang. _Chron., Rec. des Hist_., t. XII, p. 675, et t. XX, p. 781.)]
C'est une chose etrange que les vicissitudes de la vie que nous
racontons. Elles se multiplient comme les mouvements inquiets de l'ame
d'Abelard. Temeraire et triste, entreprenant et plaintif, il n'a pas
reussi a maitriser la fortune, et il ne sait pas s'astreindre a vivre
dans un humble repos. Aucune situation reguliere et commune ne peut lui
convenir longtemps. Partout ou il parait, il semble chercher querelle,
provoquer l'oppression, et, quand il rencontre la resistance, il
s'etonne en gemissant. Apres les grands malheurs, il n'echappe pas
aux petits; victime des serieuses passions, il est tourmente par les
passions pueriles; il se prend d'une querelle domestique avec des
moines, et aussitot tout condamne, tout dechu qu'il parait, il emploie
des princes et des rois a faire ses affaires, a le delivrer de son abbe,
a garantir sa liberte; puis, des qu'elle lui est rendue, n'ayant pu se
soumettre a la vie du cloitre, il se fait ermite[138].
[Note 138: Cette retraite d'Abelard, le repos et l'activite
philo
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