. Il croyait
savoir qu'on y pensait que, moins l'abbaye de Saint-Denis serait
reguliere, plus elle serait soumise et temporellement utile a la
couronne, peut-etre parce qu'on en tirerait plus d'argent. Il pouvait
donc esperer qu'on se soucierait fort peu d'y retenir un censeur qui
prechait la reforme, et qu'on ne prendrait pas fort a coeur les interets
de l'autorite abbatiale ni de la discipline commune. Cette situation
exceptionnelle de religieux sans monastere qu'il ambitionnait pouvait
etre assez du gout de la cour, et lui il s'accommodait fort bien de
l'idee de lui devoir sa liberte, et pour ainsi dire de relever d'elle.
La royaute commencait a devenir pour les individus la protectrice
universelle; et elle se plaisait des lors a entreprendre sur toutes les
juridictions, et a suspendre, suivant son bon plaisir, toutes les
regles particulieres. Etienne de Garlande et Suger s'entendirent donc
aisement[136]. Pour que tout fut en regle, le ministre fit venir l'abbe
et son chapitre; et il s'enquit des motifs de l'insistance qu'on avait
mise a retenir dans un cloitre un homme malgre lui, et fit valoir le
scandale qui pourrait en resulter, sans qu'on en dut esperer rien
d'utile, puisqu'il y avait entre la congregation et son censeur une
evidente incompatibilite d'humeurs. L'abbe demanda seulement que, pour
l'honneur du monastere, Abelard ne cessat pas de lui appartenir, et
qu'il allat vivre dans une retraite de son choix, sans jamais entrer
dans aucune autre communaute. Cette condition fut acceptee, et le tout
fut promis et ratifie en presence du roi et de son conseil.
[Note 136: Il existe deux lettres adressees a Suger, au nom du pape,
pour lui recommander un maitre Pierre qui, ayant une mauvaise affaire,
s'etait adresse a la cour de Rome. Duchesne qui les a, je crois,
publiees le premier, veut qu'elles s'appliquent a notre maitre Pierre;
du moins le dit-il dans la table de son recueil _Historiae Francorum
scriptores_ (t. IV, p. 537 et 538); mais la simple lecture de ces
lettres prouve que cette opinion est insoutenable, et nous croyons
volontiers, avec D. Brial, qu'il s'agit d'un certain Pierre de Meaux,
accuse de quelque violence sous la pontificat d'Eugene III. (_Rec. des
Hist._, t. XV, p. 455 et 456.)]
Le roi etait alors ce Louis le Gros dont le regne fut si memorable par
l'emancipation des communes, berceau de la liberte moderne. Il eut la
gloire d'attacher son nom a ce grand evenement, et sa puissance en
profita,
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