pensee de son ouvrage, il exposait sa foi, il rendait le dogme
intelligible, demonstratif, et commencait a retrouver des admirateurs.
On remarqua bientot dans la ville cette singularite d'un accuse qui
parle haut et d'un accusateur qui se tait. "Quoi," disait-on, "il
harangue le public, et on ne lui repond pas! Le concile touche a son
terme, un concile reuni principalement a cause de lui; et de lui il
n'est pas question! Est-ce que les jugea auraient reconnu que l'erreur
etait de leur cote?" Ces propos et d'autres semblables ne faisaient
qu'animer de plus en plus l'ardeur de la poursuite; une condamnation
devenait a chaque instant plus necessaire.
[Note 114: _Intruct. ad Theol_., prolog., p. 974.]
Un jour, Alberic, accompagne de quelques-uns des siens, s'approche
d'Abelard, et voulant apparemment l'embarrasser, apres quelques mots
flatteurs, il lui dit qu'il s'etonnait d'une chose qu'il avait notee
dans son ouvrage; savoir que Dieu ayant engendre Dieu, et Dieu etant
unique, Dieu cependant ne s'etait pas engendre lui-meme.
"Si vous voulez," repondit Abelard, "je vous en donnerai la
raison.--Nous faisons peu de compte," reprit Alberic, "des raisons
humaines, ainsi que de notre propre sens en pareilles matieres; nous
demandons les paroles de l'autorite.--Tournez le feuillet," dit Abelard,
"et vous trouverez l'autorite." Et lui, prenant des mains le livre
qu'Alberic avait apporte, il chercha le passage qn'Alberic n'avait pas
vu ou compris, n'ayant qu'une pensee, celle de trouver un adversaire
en faute. Le bonheur voulut ou Dieu permit que le passage se presentat
aussitot. La citation portait: "Saint Augustin, _de la Trinite_, livre
I.--Celui qui croit qu'il est de la puissance de Dieu de s'etre engendre
lui-meme, erre d'autant plus que non-seulement Dieu n'est point dans ce
cas, mais pas plus que lui aucune creature spirituelle ou corporelle. Il
n'est absolument aucune chose qui s'engendre elle-meme[115]."
[Note 115: Voila une preuve que l'ouvrage juge a Soissons est
l'Introduction a la Theologie; on y trouve le passage repris par
Alberic, et la citation de saint Augustin qu'invoque Abelard pour lui
repondre. (_Ab. Op_., ep. I, p. 21; _Introd_., l. II, p. 1066.--Saint
Augustin, _Op. omn., De Trin_., l. I, c. I, t. VIII, p. 749; edit. de
1779.)]
Les disciples d'Alberic qui etaient presents furent surpris et confus.
Leur maitre, pour essayer de se defendre, dit a tout hasard: "Mais il
faut bien l'entendre.--La belle
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