avait fait disposer l'habit de religieuse qui
convenait a la vie cloitree, et elle le revetit, mais sans prendre le
voile. Aucun esprit de retraite, aucun degout des joies du monde,
aucune lassitude des passions ne l'amenait au pied des autels. Elle n'y
cherchait qu'un sur asile. L'homme que le ciel lui avait maintenant
donne pour epoux l'y venait voir de temps en temps, et leur amour ne
respectait pas toujours la saintete du lieu. Les detours du cloitre, la
solitude des salles silencieuses cacherent plus d'une fois un bonheur
qui ne pouvait donc cesser d'etre criminel[85].
[Note 84: C'etait un prieure dependant de l'abbaye de Saint-Denis
et temporairement converti en couvent de femmes; il portait le nom
de _Prioratus humilitatis B. Marie de Argentolio_, ou Notre-Dame
d'Argenteuil. (_Ab. Op_., ep. 1, p. 17; Not., p. 1150.--_Gall. Christ_.,
t. VII, p. 607.)]
[Note 85: "Nosti ... quid ibi tecum mea libidinis egerit
intemperantia in quadam etiam parte ipsus refectorit.... Nosti id
impudentissimo furio actum esse in tam reverendo loco et summae Virgini
consecrato. (_Ab. Op._, ep. V, p. 69.)]
Rien de tout cela n'etait soupconne de Fulbert, ou rien ne le touchait.
Il savait seulement que sa niece, jadis son plaisir et son orgueil,
lui avait echappe, qu'elle etait dans les murs d'un monastere, qu'elle
portait la robe de religieuse. Il crut ou voulut croire qu'Abelard
comptait ainsi se debarrasser d'elle et l'enchainer loin de lui. Toutes
ces precautions lui paraissaient suspectes, et ce qu'on prenait tant
de soin de cacher, on voulait sans doute l'annuler un jour. La vie
d'Abelard pouvait bien d'ailleurs n'etre pas celle du mari le plus
fidele[85a].
[Note 85a: Voyez la note 2 de la page 46, et les allegations de
Foulque de Deuil. (_Ab. Op._, p. 219.)]
Les proches, les amis de Fulbert lui repetaient qu'on l'avait trompe,
et en aigrissant ses soupcons exaltaient tous ses ressentiments. L'idee
d'une vengeance bizarre et terrible lui etait venue des le premier jour
de sa colere; elle le ressaisit de nouveau; peut-etre ne l'avait-elle
jamais quitte; et une nuit, apres avoir mis du complot quelques-uns
de ses parents, il se fit introduire avec ses complices, par un valet
secretement achete, jusque dans la chambre retiree ou reposait Abelard,
et le surprenant sans defense et endormi, ils lui infligerent, par un
lache attentat, la mutilation degradante que le desir d'aneantir les
tribulations de la chair dont parle saint Pa
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